Créé en 2010, The Shift Project est un think-tank à dimension européenne qui œuvre pour une économie libérée de la contrainte carbone et des énergies fossiles. Mardi 21 mars, The Shift Project a présenté son Manifeste pour décarboner l’Europe. Dans ce Manifeste, 9 propositions sont établies à destination des États Européens.
Face au changement climatique, l’Accord de Paris sur le climat engage l’Europe à réinventer la totalité de son économie afin de « contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels« . Le défi met en jeu chacune des activités essentielles encore dépendantes des énergies fossiles : l’industrie, la production électrique, les transports, le bâtiment, l’agriculture, et de manière indirecte la finance, l’assurance et les politiques publiques.
Le réchauffement climatique ne cesse de s’aggraver et il est urgent d’agir : la température planétaire moyenne des cinq dernières années affiche en ce début 2017 une anomalie de +0,79°C par rapport à la moyenne du XXe siècle, selon les chiffres de l’agence américaine NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), soit +1°C par rapport aux niveaux préindustriels.
Dans ce contexte, The Shift Project appelle tous les acteurs de l’Europe – individus, société civile, compagnies privées, pouvoirs publics – à entreprendre au plus vite des actions cohérentes et concrètes à la mesure du défi du climat et de la préservation des ressources naturelles.
Ainsi, 9 propositions sont présentées par le think-tank dans son Manifeste pour décarboner l’Europe. Ce Manifeste a été présenté mardi 21 mars. Chacun peut soutenir et partager ce Manifeste et les actions qu’il propose. De nombreux responsables économiques ont déjà signé ce texte, dont Elisabeth Borne, PDG de la RATP, Gauthier Louette, PDG de SPIE, Alain Montarant, président de la MACIF et Vincent de Rivaz, DG de EDF Energy UK.
Les 9 propositions pour décarboner l’Europe
Les 9 propositions du Shift permettent de dimensionner l’action à laquelle appelle le Manifeste : inventer l’Europe post-carbone. Ce sont des propositions d’action sectorielles, dont la mise en œuvre permettrait de respecter le plafond d’émissions de gaz à effet de serre (GES) visé en 2050, correspondant à une division par quatre (« Facteur 4 ») des émissions de 1990 des pays membres de l’Union européenne (UE).
• Une électricité décarbonée
Dans le secteur de l’électricité, le Shift Project propose de remplacer toutes les centrales à charbon par des moyens de productions bas carbone grâce à l’utilisation d’énergies renouvelables ou nucléaire voire de la capture-séquestration du carbone. Parmi les actions à mettre en œuvre pour réaliser cette proposition, le Shift propose de faire tendre les crédits du système communautaire d’échange de quotas d’émission alloués aux installations de production d’électricité vers 0, et de mettre en place un système de subventions pour le remplacement des centrales basé sur le plus faible coût d’investissement à la tonne de CO2 évitée.
• Des véhicules économes et une mobilité urbaine intelligente
Pour le secteur du transport routier, qui contribue à 94% aux émissions de GES dues au transport en Europe, la proposition du Shift Project consiste à bannir les véhicules les plus émetteurs afin de généraliser la voiture à moins de 2L/100km. Le Shift recommande dans ce but d’imposer des plafonds d’émissions pour les véhicules neufs (50 gCO2/km pour les voitures) et d’augmenter le taux d’imposition sur les carburants, afin d’éviter l’effet rebond induit par la baisse de consommation des véhicules.
En outre, 40% des gaz à effet de serre du transport routier proviennent de la mobilité urbaine. Le Shift propose donc d’accomplir la révolution du transport en ville, avec en particulier une augmentation de l’offre en transports alternatifs à la voiture particulière (transports publics, auto-partage, vélo, etc.), couplée à la réaffectation et à la redistribution de l’espace alloué à la voiture particulière.
• Redonner l’avantage au train
Devant le constat que seulement 7% des trajets en Europe sont effectués grâce au train, la cinquième proposition du Shift Project concerne le secteur du transport ferroviaire : relier les grandes métropoles par des trains rapides en développant les liaisons par train grande vitesse entre les principales villes d’Europe. Une amélioration du réseau conventionnel est aussi recommandée, ainsi que la constitution d’une flotte de trains rapides économes en énergie. L’augmentation de l’usage du train ne pourrait se faire sans la réduction du transport aérien par l’abandon de l’extension et de la création de nouveaux aéroports et par la suppression de l’exemption de taxe sur le kérosène.
• La nouvelle révolution industrielle
Le Shift Project propose d’inventer l’industrie lourde post-carbone car ce secteur représente près de 20% des émissions de GES dans l’UE. Pour engager cette transition, des actions directes seraient à mettre en place : remplacer les combustibles fossiles par des combustibles alternatifs ou des procédés moins émetteurs de gaz à effet de serre, améliorer l’intensité carbone des procédés de production et favoriser le développement d’une économie plus « circulaire » incluant davantage de recyclage, d’efficacité-matière et privilégiant des durées de vies plus longues.
• Rénovation de l’habitat et des bâtiment publics
Les bâtiments sont responsables de 36% des émissions de CO2 de l’Union européenne, c’est pourquoi rénover les logements anciens devrait être une des priorités pour une Europe décarbonée. Une isolation optimale et la décarbonation du chauffage (grâce aux pompes à chaleur, bois, solaire thermique) seraient indispensables. Pour ce faire, des mécanismes de financements spécifiques devraient être mis en place, tout en développant la filière rénovation.
Une seconde proposition concerne le secteur du bâtiment : lancer le grand chantier de rénovation des bâtiments publics. Les États devraient en effet montrer l’exemple dans la transition vers un habitat sobre en énergie. Pour cela, un large consortium (industriels, organisations financières, collectivités locales, associations et fondations) devrait être agrégé pour financer aux meilleures conditions la rénovation énergétique des bâtiments publics, sans grever la dette publique.
• L’économie de la forêt et l’évolution de l’alimentation
Enfin, les dernières propositions concernent les secteurs de l’agriculture et de la sylviculture. D’une part, le développement de la séquestration de carbone par les forêts européennes se ferait en soutenant au niveau européen la mise en place et le financement de programmes de reforestation et de gestion forestière dynamique. La production de bois d’œuvre devrait aussi être encouragée face au bois destiné à l’industrie et au bois énergie.
D’autre part, la dernière proposition appelle à réussir le passage à l’agriculture durable, en recommandant notamment une rémunération des éleveurs et des coopératives qui adoptent le label « Haute Qualité Environnementale » – qui serait créé pour l’élevage – afin de remplacer avantageusement les modes de subvention actuels.
Impacts et bénéfices de ces actions
Ces actions ont été pensées par le Shift Project pour réaliser 100% de l’objectif « Facteur 4 » d’ici 2050 : la réduction nécessaire des émissions de gaz à effet de serre de 2 700 millions de tonnes CO2éq d’ici 2050, chiffrée par le Shift de la manière suivante :
• 24% (800 millions de tonnes de CO2éq) grâce à la fermeture des centrales à charbon ;
• 14% (400 millions de tonnes de CO2éq) avec la généralisation des véhicules ;
• 6% (170 millions de tonnes de CO2éq) avec la modernisation des systèmes de transport urbain ;
• 9% (250 millions de tonnes de CO2éq) grâce au développement du transport ferroviaire ;
• 7% (200 millions de tonnes de CO2éq) par la décarbonation de l’industrie ;
• 17% (500 millions de tonnes de CO2éq) par la rénovation systématique des logements ;
• 4% (100 millions de tonnes de CO2éq) grâce à la rénovation proposée des bâtiments publics ;
• 4% (100 millions de tonnes de CO2éq) par la mobilisation de 100 millions de m³ de produits bois supplémentaires dans la construction ;
• 5% (135 millions de tonnes de CO2éq avec le développement de l’agriculture durable.
En plus de l’impact direct de la réduction des émissions de GES sur le climat, ces actions bénéficieraient à la santé publique (diminution de la pollution de l’air) et à la création de nombreux emplois (développement des filières énergétiques alternatives au charbon, de rénovation des bâtiments et du bois, des infrastructures de transport durable, des réseaux des chemin de fer et des circuits courts d’alimentation ; amélioration des procédés industriels, relocalisation des emplois par la baisse d’importation de pétrole et recherche dans tous les secteur). Le Shift estime que ces bénéfices devraient être largement supérieurs aux pertes d’emplois potentielles.
Sur le plan économique, la création de nouveaux marchés serait bénéfique pour l’Europe mais certains secteurs auraient plus de mal à s’adapter devant les réglementations que recommande le Shift.
Enfin, le Shift estime que les réactions citoyennes seraient plutôt favorables à ces mesures dès le début ou à long terme (notamment pour l’abandon progressif de la voiture particulière), excepté le déclin des offres de transport aérien (en particulier les offres à bas coût). Il est important pour chacune des propositions qu’elle soit accompagnée de sensibilisation des citoyens afin qu’ils puissent appréhender les changements et les comprendre, et de subventions pour aider à la transition.
Coût et financement des mesures
Le coût total des investissements pour réaliser les mesures proposées serait entre 9 000 et 17 000 Mds €. Ces coûts se répartiraient entre les industriels, les pouvoirs publics dont les fonds européens (système de subvention) et les consommateurs (répercussion du prix du carbone sur le prix des produits, surcoût à l’achat, etc.).
Tous les détails de ces 9 propositions (dimensionnements, impacts, financements, etc.) sont à consulter sur le site Decarbonizeurope.
Ce Manifeste pour décarboner l’Europe et ses 9 propositions font écho à la mission de B&L évolution d’agir pour que les entreprise et les collectivités effectuent leur transition vers une économie décarbonée et sur l’accompagnement des territoire (voir la dernière étude TEPCV).