Les émissions françaises de gaz à effet de serre ont baissé de 5,8% entre 2022 et 2023. Faut-il s’en réjouir ? Est-ce suffisant ?
Le 19 juin 2024, le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) a publié les résultats définitifs des émissions de gaz à effet de serre de la France pour 2023. Selon cet inventaire, les émissions françaises en 2023 sont de 373 Mt CO2e soit une baisse de 5,8 % par rapport à 2022.
Les détails de cette baisse sont précisés dans le rapport Secten : le rapport de référence présentant en détail les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques en France.
Comment réagir face à cette annonce ?
Comme en 2019 lorsque nous analysions la baisse de 4,2% des émissions en France entre 2017 et 2018, les réactions cette année encore peuvent être variées. L’optimiste se réjouira en disant que c’est une baisse record et que nous sommes dans les objectifs de la SNBC-2 (Stratégie Nationale Bas Carbone, la stratégie nationale de décarbonation de la France). Le sceptique se renfrognera en disant que ce n’est pas assez, que les objectifs de la SNBC-2 ne sont pas en accords avec ceux (plus ambitieux) de l’Union Européenne…
Chez BL évolution, nous pensons qu’une baisse des émissions ne peut être qu’une bonne nouvelle pour le climat : une baisse est une baisse, il faut s’en réjouir. Rentrons un peu plus dans les détails du rapport du CITEPA afin de comprendre les raisons et les enjeux de cette baisse, pour dissocier ce qui est conjoncturel de ce qui est structurel.
Une baisse globale des GES dans tous les principaux secteurs
D’après les calculs du CITEPA, tous les principaux secteurs français enregistrent une baisse de leurs émissions entre 2022 et 2023 qui va de 1,6% pour l’agriculture à 17,9% pour la production d’énergie. Le secteur des bâtiments baisse quant à lui de 6% et celui de l’industrie de 8,7%.
La baisse des émissions est donc notable et très encourageante pour la production d’énergie, l’industrie et les bâtiments. En revanche, même si ses émissions sont en baisse, le secteur des transports est assez largement en retard. Cette baisse de 3% reste insuffisante sachant que les transports représentent 32% des émissions françaises. Rappelons aussi que les émissions de ce secteur sont les seules à être en augmentation par rapport aux niveaux de 1990 avec +5% entre 1990 et 2022. Enfin, pour respecter le budget carbone du secteur des transports pour 2024, il faudrait une baisse de 12% en 2024 par rapport à 2023.
Dans sa publication, le CITEPA distingue le transport routier du transport aérien. Les émissions du secteur routier enregistrent une baisse de 3,4% pour atteindre son plus bas niveau depuis 2009 (hors effet Covid-19). Les explications mises en avant sont conjoncturelles (la hausse ponctuelle du prix du carburant) et structurelles (le renouvellement du parc automobile (passage du véhicule thermique à l’électrique ou l’hybride) et ont induits des évolutions de comportements (utilisation des mobilités douces, recours au covoiturage…).
De même, la baisse des émissions attendue par la seule électrification des véhicules ne sera sans doute pas assez rapide par rapport aux objectifs de réduction inscrits dans la SNBC-2 et doit idéalement s’accompagner d’une baisse de l’usage (Le vélo serait-il l’avenir de la logistique urbaine ?). D’autres impacts, non négligeables sur la santé et l’environnement, sont aussi à considérer dans les explications des évolutions des émissions de gaz à effet de serre : la pollution de l’air, le bruit, l’impact sur la biodiversité, le partage de l’espace, etc… (Investir dans le vélo un enjeu de santé publique)
Toujours au cœur des débats et faisant office de mauvais élève, le transport aérien est de son côté en forte hausse d’émissions. D’après le rapport Secten, les émissions liées à l’aviation domestique (interne au territoire français) sont en baisse de 3,4% contrairement à celles de l’aviation internationale qui connaissent une hausse de 16% par rapport à 2022. Nous constatons donc une poursuite importante du rebond post-Covid-19 pour l’aviation internationale même si l’on reste en dessous du niveau d’émissions atteint en 2019. Concernant l’aviation domestique, cette hausse de 23 %/an en moyenne sur les 2 années 2021 et 2022 semble s’être arrêtée notamment grâce au décret publié en 2023 qui interdit les vols inférieurs à 2h30 si une alternative en train est possible, selon le CITEPA. Pour comprendre les enjeux individuels de ce secteur, vous pouvez consulter notre étude A quelle fréquence pouvons-nous (encore) prendre l’avion ?, sollicitée par Greenpeace.
Concernant la baisse significative des émissions liées à la production d’énergie, elle s’explique en grande partie par des éléments conjoncturels : le retour de la disponibilité du parc nucléaire (plusieurs centrales remises en service) qui permet la production d’électricité décarbonée. En effet, les émissions avaient fortement augmenté en 2022 à cause de l’indisponibilité de plusieurs centrales nucléaires et de la faible production d’énergie hydroélectrique, ce qui a entraîné une hausse de l’utilisation des centrales à gaz (plus carbonées). Les volumes de production d’énergies renouvelables sont aussi en hausse par rapport à 2022, notamment pour l’énergie éolienne et l’hydroélectricité.
Avec une année 2023 fortement impactée par l’inflation, le secteur résidentiel-tertiaire (bâtiments) continue sa baisse des émissions de gaz à effet de serre avec -6% par rapport à l’année 2022. En cause, une année 2023 encore particulièrement chaude en terme de température (2023, seconde année la plus chaude en France métropolitaine derrière 2022), notamment pendant la période hivernale, ce qui a donc entraîné une baisse significative du chauffage, et donc de la consommation de fioul et gaz naturel. La hausse du prix de l’énergie et l’inflation ont aussi joué un rôle majeur, en plus des incitations du gouvernement aux comportements de sobriété des ménages et entreprises. L’ensemble de ces explications circonstancielles vient aussi participé à la réduction des émissions liées à la production d’énergie, explicitée ci-dessus, grâce à la diminution de la demande en énergie. En effet, la consommation d’électricité a baissé de 3% en 2023 par rapport à 2022.
Le CITEPA explique aussi la réduction des émissions du secteur résidentiel-tertiaire par la poursuite de la rénovation thermique des bâtiments. Pour plus de détails sur les enjeux de décarbonation de ce secteur, n’hésitez pas à lire notre article : Scénarios “Transition 2050” et bâtiment : quel monde construirons-nous pour demain ?.
Déjà en baisse en 2022 après le rebond post-Covid-19, les émissions de l’industrie continuent de réduire avec -8,7% en 2023 par rapport à 2022. Les explications évoquées dans le rapport Secten sont la baisse importante de production dans plusieurs secteurs fortement émetteurs (ciment, chimie, sidérurgie), associée à une moindre consommation de gaz naturel et à des contraintes d’approvisionnement. Des initiatives de décarbonation sont aussi en cours, et les 50 sites industriels français les plus émetteurs ont signé en décembre 2023 des contrats de transition écologique totalisant un engagement de baisse d’émissions de 45% d’ici 2030.
L’agriculture, le secteur affichant la plus petite baisse, diminue son impact de 1,6% entre 2022 et 2023. Les calculs du CITEPA font le lien avec la baisse des émissions de CH4 et N2O due aux reculs du cheptel bovin et porcin et aux livraisons d’engrais en repli en 2023.
Un périmètre de l’étude ne prenant pas en compte les émissions de GES dites « importées »
Il est important de noter que ce baromètre ne prend pas en compte les émissions dites « importées », qui viennent d’autres pays. Il prend en compte uniquement l’inventaire national, c’est-à-dire toutes les émissions ayant lieu sur le territoire national du point de vue de production. Cela ne prend pas en compte les émissions générées par la consommation des Françaises et Français de biens fabriqués à l’étranger. Il est ainsi important de comprendre que le périmètre des données publiées par le CITEPA concerne une partie seulement des émissions liées aux modes de vie et à la consommation française.
D’après le Service des données et études statistiques (SDeS) du Ministère de la Transition écologique et solidaire (MTES), par rapport à 1995, l’empreinte carbone de la France a diminué de 7 % en 2022. Les émissions liées à l’inventaire national ont été réduites de 33 % alors que les émissions associées importées ont augmenté de 32 %. L’empreinte totale décroit donc depuis une décennie après un accroissement de 1995 à 2005.
En 2022, les émissions dites importées représentaient 56% de l’empreinte carbone totale, il s’agit donc d’un périmètre important à considérer aussi dans l’analyse des émissions françaises. Malgré la forte augmentation par rapport à 1995, les émissions importées stagnent ces dernières années, et diminuent dernièrement entre autres grâce à la décarbonation des autres pays Européens.
Evolution de l’empreinte carbone
Sources : citepa ; Eurostat ; Insee ; Douanes ; AIE ; Edgar- JRC ; FAO. Traitement: SDES, 2023
Quelle conclusion retenir de cette baisse des émissions de GES ?
Tout d’abord, au regard des engagements de réduction de la France, l’année 2023 respecte les objectifs climatiques de la SNBC-2 (hors UTCATF).
Emissions de GES hors puits de carbone et budget carbone
Source : Citepa, Rapport Secten
Le 1er budget carbone fixé sur la période 2015-2018 n’avait pas été respecté et avait donné lieu à une révision de la SNBC. D’après cette révision, la France respecte les objectifs sur la période 2019-2023 avec 400 MtCO2e/an en moyenne (hors UTCATF), soit en dessous de l’objectif des 420 MtCO2e/an. De même, le budget carbone annuel de la SNBC-2 (révisée) pour l’année 2023 s’élève quant à lui à 397 Mt CO2e. Avec 373 Mt CO2e dans le baromètre du CITEPA pour 2023, l’objectif annuel est aussi respecté.
L’UTCATF signifie l’utilisation des terres, changement d’affectation des terres et de la forêt et représente ce qu’on appelle communément les puits de carbone. En effet, ils permettent de séquestrer des gaz à effet de serre dans la biomasse et les sols, et leur prise en compte permet donc de diminuer les émissions comptabilisées. Ces puits se sont considérablement réduits, notamment en raison de l’effet couplé de sécheresses à répétition depuis 2015, de maladies affectant le taux de mortalité des arbres, et d’une hausse des récoltes de bois. Ainsi, le budget carbone 2019-2023 de la SNBC-2 n’est pas respecté de peu si l’on prend le périmètre total des émissions (l’ensemble des émissions des secteurs ainsi que les puits de carbone) : 380 Mt émis contre un budget carbone de 379 Mt, avec 21 Mt d’absorption des émissions en moins pour l’UTCATF par rapport à l’objectif d’absorption fixé dans la SNBC-2.
Il faut aussi noter que les objectifs de la SNBC-2 ne sont plus en cohérence avec ceux (plus ambitieux) de l’Union Européenne qui prévoient une réduction de -55% entre 1990 et 2030, au lieu de -40% pour la SNBC -2. Une version mise à jour de la SNBC est prévu qui prévoit la modification des budgets carbone et des objectifs de réduction, notamment pour s’aligner avec les objectifs européens, mais sa sortie a été plusieurs fois retardée.
D’autre part, la baisse des émissions en 2023 par rapport à 2022 sont en partie due à éléments conjoncturels (hiver doux, reprise de la production nucléaire et inflation) et non complètement structurels. Ces changements sont nécessaires pour engager une réduction des émissions mais doivent être couplés avec des restructurations dans les différents secteurs pour pérenniser la baisse des émissions de gaz à effet de serre et s’inscrire dans des ambitions de réduction à long terme.
Pour conclure, la baisse des émissions est un bon signal, encourageant et positif, qui permet à la France de respecter ses objectifs. Il serait cependant pertinent que ces résultats records de réduction des émissions incluent les objectifs de réduction liés à l’Utilisation des Terres, Changements d’Affectation des Terres et Forêt (UTCATF). Il est donc primordial de continuer les stratégies de décarbonation de l’ensemble des secteurs, tout en accentuant la durabilité des puits de carbones des sols et des forêts.