Le changement climatique va impacter économiquement le secteur viticole français (raréfaction de l’eau, recrudescence des bio-agresseurs, etc.). Parmi les quatre scénarios pour adapter la filière, le scénario d’adaptation innovant basé sur la technologie et l’innovation des pratiques semble être privilégié par les viticulteurs. Pourtant, il possède des limites. Un autre scénario d’adaptation qui tend à déplacer les aires de culture, le scénario nomade, pourrait dans certains cas être plus approprié.

Quel secteur a le second excédent commercial net derrière l’aéronautique, génère 558 000 emplois directs et indirects dans des régions à fort taux de chômage et possède de forts enjeux sur la biodiversité ? Vous l’aurez peut-être deviné, c’est le secteur viticole. Il est pourtant en train de subir un choc économique causé par le changement climatique, qui le pousse à s’adapter. En 2016, Patrick Aigrain, chef du service « évaluation, prospective & analyses transversales » de FranceAgriMer, a publié avec son équipe Travaux de prospective sur l’adaptation de la viticulture au changement climatique : quelles séries d’événements pourraient favoriser différentes stratégies d’adaptation. Quatre stratégies d’adaptation sont analysées : conservatrice, innovante, libérale et nomade. Deux d’entre elles sont plébiscitées par la filière, l’innovante et la nomade. Dans les débats en cours sur le sujet, la balance semble pencher pour la stratégie innovante.

Secteur viticole français et changement climatique : quels sont les risques ?

Dans son rapport de 2014, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat nous apporte sept notions pour analyser l’adaptation d’un secteur au changement climatique : les dangers, l’exposition, les impacts, les vulnérabilités, les capacités d’adaptations, les risques et les incertitudes. Quels enjeux de l’adaptation pour la filière du vin et des vignes ?

Les principaux dangers pour les vignes sont l’élévation de la température et les sécheresses à répétition, dont les conséquences dépendent des régions. Dans le Nord de la France, cela permet aux espèces parasites de se développer plus aisément (la cochylis, la cicadelle de la flavescence dorée) ou à d’autres de pouvoir arriver (cicadelle africaine, larves d’eudémis et de cocylis) pour endommager les récoltes. Dans le Sud, cela génère une diminution du taux d’humidité, qui produit un vin plus acide et plus riche en alcool. Ce type vin nouveau rend le secteur plus vulnérable. Ainsi, sur un panel de 184 vins rouges de Bordeaux, les consommateurs sembleraient se lasser plus rapidement de ce type de vin pour finalement les acheter moins souvent.

Si les effets du réchauffement climatique commencent déjà à se ressentir, une actualité plus soudaine rend le secteur vulnérable, la chute de la demande causée par la crise sanitaire. Malgré cela, le secteur bénéficie de fortes capacités d’adaptation : sa richesse, sa renommée mondiale, et son soutien politique. De plus, les géants du secteur semblent être conscients des enjeux, comme l’expliquait le PDG Philippe Schaus de Moët Hennessy (groupe LVMH) en février 2020 : « Ces dernières années, l’évolution dramatique du climat et les enjeux de biodiversité se sont imposées à nous tous. Nous avons le devoir d’accélérer sur ces sujets. ». Ces prises de conscience permettront au secteur de s’adapter plus rapidement.

Des incertitudes demeurent malgré tout : quels impacts auront le changement climatique sur la qualité et la quantité des eaux des nappes phréatiques, principale source d’approvisionnement en eau des récoltes ?

Le changement climatique étant déjà amorcé, il n’est d’ores et déjà plus possible d’imaginer que la température moyenne à la surface du globe n’augmente pas. Au XXe siècle, la température moyenne du globe a augmenté d’environ 0,6 °C et celle de la France métropolitaine de plus de 1 °C. A une échelle plus petite, quelles seront les modifications des climats locaux ? Dans le quart Sud-est par exemple, on prévoit la plus forte augmentation de la température moyenne, de l’ordre de 1,5 et 2 °C plus chaud à l’horizon 2050, par rapport à la moyenne de référence sur la période 1976-2005. Le nombre de jours de vagues de chaleur en été sera aussi plus important, de 5 à 10 jours en plus.

Ces modifications des climats locaux vont impacter économiquement le secteur agricole, et donc viticole, puisqu’on projette déjà une perte jusqu’à 80 % de valeur des terres agricoles dans le sud de la France, comme le montre la carte ci-dessous. Sous cette pression climatique, « on observe une remontée vers le Nord des zones de culture potentielle de la vigne », note le climatologue Hervé Quenol dans une interview.

Figure 1. Projection des changements de la valeur des terres agricole pour la période 2071-2100 comparée à celle de 1962 à 1990 (Van passel & all 2017, dans le rapport de l’Agence Européenne pour l’environnement, Climate Change adapatation in the agriculture sector in Europe, 2019)

La stratégie d’adaptation innovante : la technologie au service du secteur viticole ?

Cette stratégie, développée dans l’étude de Patrick Aigrain en 2016, repose sur l’amélioration des capacités d’adaptation des producteurs de vins. Elle est basée sur l’innovation technologique et des pratiques de culture. L’idée est de mobiliser la recherche pour développer des pieds de vignes génétiquement sélectionnés. Au Nord, ces pieds de vignes résisteraient mieux aux espèces parasites. Au Sud, elles supporteraient mieux la diminution du taux d’humidité et les vagues de chaleur. Des innovations dans le processus de vinification seraient aussi à découvrir, afin de modifier l’acidité et le degré d’alcoolémie du vin.

L’avantage de cette stratégie d’adaptation est qu’elle conserve l’aspect des paysages millénaires. Le prérequis serait un investissement massif dans la recherche et l’innovation par l’Etat français, pour accompagner le secteur.

Il convient de noter que se poserait néanmoins la question de l’impact sur la biodiversité locale et des éventuels effets sur la santé humaine. Sans faire la promotion des organismes génétiquement modifiés, l’étude mentionne que son développement bénéficierait largement à cette stratégie d’adaptation.

Ce scénario fait aussi ressurgir l’idée selon laquelle le développement technologique pourrait résoudre tous les problèmes environnementaux que l’être humain génère. Cette croyance en un avenir technologique salvateur, n’est-ce pas un moyen de remettre à plus tard la résolution des problèmes environnementaux ? De plus, que se passera-t-il si les progrès pour développer des cépages plus résistants aux bio-agresseurs et aux sécheresses n’arrivent pas ?

La stratégie d’adaptation nomade : une nouvelle législation au service des producteurs

Plutôt que de miser sur l’affrontement direct des conditions climatiques, cette stratégie cherche à les éviter en limitant l’exposition du secteur au danger. Il faudrait abandonner les aires de production millénaire de vin devenues inexploitables à cause des conséquences du changement climatique, pour d’autres avec des conditions météorologiques plus favorables. Ce scénario ne requiert pas d’innovation technologique, mais une modification de la législation française et européenne. En effet, un vin est autorisé à être appelé Champagne seulement s’il est produit en Champagne-Ardenne. Si ce scénario se développe, alors les législateurs et certificateurs devront probablement modifier les contours géographiques de cette appellation, pour permettre la production de Champagne en dehors des contours géographique de la Champagne-Ardenne. Cela vaut pour d’autres zones géographiques. Au niveau européen, des débats sont en cours sur la Politique Agricole Commune pour laisser plus de flexibilité aux viticulteurs afin qu’ils puissent planter là où le climat sera le plus favorable. Certains ont déjà fait le pas, comme la maison de Champagne Taittinger qui plante des vignes en Angleterre.

Cette stratégie suscite des critiques de la part des viticulteurs, car on assisterait à une modification importante de paysages millénaires, et une perte de la typicité des vins. Il faut 3 ans pour qu’une vigne nouvellement plantée produise du vin, et il n’est pas garanti que ce vin soit d’une qualité comparable aux cépages vieux de plusieurs décennies.

Se pose aussi la question de la concurrence sur l’exploitation des terres arables. En effet, il faudra bien renoncer à une culture existante pour mettre des pieds de vigne à la place, pour produire du vin et non plus des aliments. D’autant plus dans un contexte où le rendement agricole des principales cultures devrait baisser. Pour chaque degré Celsius de hausse des températures, c’est -3,2 % de rendement pour le riz au niveau mondiale, -6 % pour le blé, et même -7,4 % pour le maïs.

 

En résumé, bien que le scénario innovant soit privilégié pour le moment, rien ne garantit que les investissements dans la recherche et le développement répondront aux conséquences du changement climatique. De plus, les questionnements soulevés par l’introduction de perturbations supplémentaires dans une période d’extinction massive de la biodiversité laissent penser que ce choix relève d’un aveuglement technologique. Le scénario nomade, quant à lui, possède aussi des limitations. Mais une chose est sûre : plus qu’une stratégie nationale, des stratégies locales seront à définir pour mieux adapter le secteur aux modifications locales du climat à venir. Finalement, la question de la vigne pose la question sur l’évolution de toutes les cultures ! Voir même de toutes les utilisations du foncier. Comment allons-nous arbitrer entre les usages potentiels des terres fertiles se raréfiant toujours plus ?