Combien coûte la transition écologique ? Quelle somme est aujourd’hui déployée pour protéger l’environnement ? Combien manque-t-il pour atteindre nos objectifs climatiques ? Combien est au contraire dépensée dans des projets défavorables au climat ? Ces questions font partie des interrogations essentielles à se poser à toutes les échelles dans la lutte contre le dérèglement climatique et nous manquons encore de sources d’informations fiables pour y répondre.
45,7 milliards d’euros d’investissements publics et privés annuels ont été déboursés pour le climat sur le territoire national.
Le premier enjeu est de savoir quelle somme d’argent est aujourd’hui mobilisée pour la transition écologique. Il peut s’agir d’investissement dans la production d’énergie renouvelable, dans des voitures peu émettrices de gaz à effet de serre, ou dans la rénovation de bâtiments pour en réduire les besoins en chauffage. Toutes ces dépenses et ces investissements favorables au climat, dits « verts », sont nécessaires à la transition, il est donc crucial de les mobiliser dès aujourd’hui et pour le long terme. L’institut de recherche I4CE (Institute for Climate Economics) publie chaque année un panorama des financements climat en France, qui recense notamment tous les investissements « verts » réalisés par les ménages, les pouvoirs publics et les entreprises. Cette étude, présentée lors d’une conférence « Quel budget pour le climat ? » à laquelle B&L évolution a assisté, montre une hausse depuis 2011 de ces investissements pour atteindre 45,7 milliards d’euros en 2018.
Entre 15 et 18 milliards d’euros supplémentaires nécessaires chaque année pour engager le pays sur la trajectoire de la neutralité carbone
Un chiffre seul est cependant difficile à interpréter. L’annonce de la mobilisation d’une enveloppe pour lutter contre le changement climatique, bien que positive, ne suffit pas à réellement prendre conscience de son impact. Toute dépense est donc à comparer avec une certaine référence et c’est pourquoi la même étude d’I4CE compare les investissements verts réalisés aux besoins réels pour la transition écologique. Ces derniers sont basés sur la trajectoire annoncée par le gouvernement dans la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), la feuille de route de la France en matière de climat, qui fixe comme objectif principal d’atteindre la neutralité carbone en 2050. L’étude d’I4CE nous informe donc cette année que malgré la hausse des investissements verts, le total reste encore entre 15 et 18 milliards d’euros en dessous de ce qu’il faudrait réellement chaque année à l’échelle du quinquennat pour atteindre nos objectifs climat. Des efforts accrus doivent être réalisés dans les secteurs de la rénovation des bâtiments, les véhicules bas-carbone ou la production d’énergie renouvelable.
Des investissements défavorables au climat encore trop importants
Cependant, une autre information est essentielle pour avoir une vision globale du sujet : le montant des dépenses défavorables au climat, ou « brunes ». En effet, les travaux d’I4CE estiment que pas moins de 67 milliards d’euros sont investis chaque année en France dans des projets ou produits ayant un impact négatif sur le climat. Cette somme inclut par exemple les investissements des particuliers lorsqu’ils achètent des voitures thermiques ou les investissements dans des projets de production d’électricité à base d’énergie fossile. Au-delà de montrer que trop d’argent reste consacré à des activités vouées à disparaître dans un monde bas carbone, il nous permet également de relativiser les écarts aux besoins de la transition écologique. Cette somme n’est pas si énorme et elle existe bel et bien quelque part. L’un des enjeux est donc aujourd’hui de réussir à rediriger cet argent au bon endroit.
L’équation paraît simple : il faudrait verdir nos budgets en augmentant la part verte et en limitant la brune. C’est l’objectif que s’est fixé notre gouvernement au travers de la notion de budget vert ou de Green budgeting. Après la soumission à l’Assemblée nationale du Projet de Loi de Finances (PLF) pour 2020 qui définira le budget de l’Etat français pour l’année prochaine, les décisions prises à ce sujet seront déterminantes pour l’année à venir. Pour savoir où nous en sommes vraiment, I4CE s’est penché sur le budget de l’année précédente pour en faire une évaluation climat à 360° et analyser chaque mesure à l’aune du climat. C’est la première fois que ce sujet est traité de manière complète pour classer les dépenses et recettes budgétaires ou fiscales de l’Etat selon leur impact (positif, négatif, ambigüe ou neutre) sur les émissions de gaz à effet de serre.
Le budget de l’Etat, des dépenses budgétaires et des impôt globalement verts…
Il ressort de ce travail considérable que 250 mesures du projet ont été identifiées comme liée aux émissions de gaz à effet de serre et donc au changement climatique (voir illustration ci-dessous). Dans les points positifs, on retiendra que lorsque les dépenses budgétaires ont un impact sur le climat, celui-ci est majoritairement positif. Sur les 22 milliards d’euros (environ 5% du budget total) dont l’impact sur le climat a été estimé, plus de 17 milliards ont ainsi été jugés verts. Si ces montants devront certainement augmenter dans le futur, leur coloration est déjà un point important.
De même, la majeure partie des recettes fiscales (impôts) qui ont un impact sur le climat l’affectent positivement. On retrouve notamment environ 10 milliards d’euros de taxes créées au nom du climat (dont la composante carbone dans les carburants) et 30 milliards d’euros de taxes sur les consommations énergétiques. Au total, 7% des impôts sont favorables au climat. I4CE remarque cependant que l’essentiel de ces taxes porte sur l’usage et non l’achat de biens, créant ce qu’ils appellent des « prisonniers énergétiques ».
…qui sont entachés de trop nombreuses exonérations brunes
Le dernier message clé de cette évaluation climat à 360° du budget de la France concerne les dépenses fiscales (exonérations d’impôts). Celles-ci sont en effet principalement défavorables au climat, on peut citer en exemples le taux de TVA réduit pour l’aviation, les exonérations relatives aux taxes énergétiques sur le kérosène et d’autres carburants utilisés pour l’usage professionnel. Au total, I4CE estime que 25% des émissions de gaz à effet de serre en France bénéficient d’un taux réduit. En plus de réduire l’impact de ce qu’on appelle communément la « taxe carbone », ces exonérations multiples et complexes créent un profond sentiment d’injustice et rendent difficile l’acceptation de la taxe pour ceux qui la payent au plein tarif.
Les mouvements sociaux qui ont marqué la France en 2018 et 2019 ont été une réaction claire à ce manque de transparence et d’équité de la fiscalité climat en France. Le PLF 2020 est l’occasion d’entamer une réflexion profonde sur la refonte de ces taxes. Il n’est pas raisonnable d’imaginer une suppression pure et dure de toutes les niches fiscales du jour au lendemain car celles-ci jouent un rôle important pour de nombreux acteurs qui ne pourraient survivre sans aide (employés du BTP, agriculteurs, taxi…). Il faudra notamment penser aux alternatives technologiques en fixant un cap clair de réduction des exonérations pour donner de la visibilité aux secteurs impactés, en réfléchissant si besoin à d’autres moyens de les soutenir dans leur transition.
Après avoir été gelée, la reprise de la hausse du prix du carbone semble inévitable tant elle apparaît aujourd’hui comme l’un des piliers des documents de politique publique climat et des différentes modélisations économiques. Il est cependant crucial de créer des conditions d’acceptabilité en s’assurant qu’elle soit juste et pas uniquement punitive, tout en permettant l’émergence d’alternatives bas carbone.
Des discussions clés à venir à l’Assemblée nationale
Pour alimenter le débat à l’Assemblée nationale dans les prochaines semaines avant la validation du PLF, l’Inspection Générale des Finances (IGF) a également réalisé une étude pour analyser le budget de l’Etat. Il a obtenu des résultats similaires, ce qui consolide les ordres de grandeur publiés. Le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire devrait également son côté publier un Jaune budgétaire « environnement » pour analyser les différents impacts du Projet Loi de Finance 2020 sur le climat, la biodiversité et la qualité de l’air.
L’émergence de tous ces travaux sur le budget de l’Etat témoignent de l’importance du Green Budgeting et de l’ampleur du chemin qu’il nous reste à parcourir pour verdir nos budgets et atteindre les montants nécessaires pour mener à bien la transition écologique. Et si « sauver la planète » ne se fera pas sans frais, cela nous évitera d’en subir bien davantage à cause des dommages du changement climatique.
Espérons que dans les discussions relatives au PLF 2020, les députés entendront cet appel et prendront les décisions nécessaires pour rendre le budget de l’Etat le plus « vert » possible dès cette année.