Adopté le mardi 16 mai 2023 par le Conseil européen, le règlement sur la déforestation importée en Europe a été publié dans le journal officiel ce 9 juin 2023 et entrera officiellement en vigueur le 29 juin 2023. A partir de cette date, les entreprises auront 18 mois pour s’y conformer et ne plus s’approvisionner dans des localisations contribuant à la déforestation. 

Qu’est-ce que la déforestation, et pourquoi est-ce une problématique majeure ? Quelles sont les implications de cette nouvelle législation européenne pour les entreprises, et comment peuvent-elles se préparer pour répondre à ses exigences ? 

 

I/ La déforestation et ses conséquences 

Qu’est ce que la déforestation ?  

Quand on parle de déforestation, on parle de diminution de la superficie forestière au profit d’autres formes d’utilisation des terres (pour l’agriculture par exemple) ou à une réduction significative de la couverture forestière (1). La malforestation, quant à elle, va plutôt désigner une gestion de la forêt à visée uniquement financière et qui néglige les aspects écologiques et sociétaux des forêts. Cette pratique de gestion intensive se retrouve, entre autres, pour produire du bois d’œuvre. La déforestation concerne principalement les forêts tropicales et boréales, tandis que la malforestation concerne en grande partie l’Europe et notamment la France. Si les préoccupations que suscitent la déforestation ne cessent de croître depuis plusieurs décennies, c’est parce que ce phénomène a des conséquences profondes sur notre société.

Les conséquences de la déforestation

La déforestation est l’une des plus grandes causes de l’érosion de la biodiversité. En effet, les forêts constituent des réservoirs de biodiversité précieux. On y retrouve plus de 80% de la biodiversité terrestre (2) et 75% des espèces d’oiseaux (3) y trouvent refuge. Les forêts tropicales, les plus menacées par la déforestation, abritent près de la moitié des espèces vivantes animales et végétales, alors qu’elles ne représentent que 6% de la surface terrestre. De plus, les forêts jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement des écosystèmes (corridors écologiques, régulation des cycles biogéochimiques, …), dont la déforestation perturbe l’équilibre écologique, ce qui renforce le phénomène d’érosion de la biodiversité. 

La déforestation contribue au dérèglement climatique. Si les forêts stockent du carbone grâce à la photosynthèse, elles en libèrent lorsqu’elles sont brûlées ou défrichées. On estime ainsi qu’environ 12% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle du globe sont dues à la déforestation (4). Cette dernière va entraîner la perte de services écosystémiques nécessaires à l’adaptation au dérèglement climatique. Elle induit ainsi une augmentation de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes (inondations, sécheresses) liés au dérèglement climatique. 

La déforestation comporte également des risques considérables pour notre économie. Les forêts permettent la production de nombreux services écosystémiques tels que la régulation de l’eau, l’approvisionnement en alimentation humaine, ou encore l’alimentation en matières premières. Plus d’1,6 milliards de personnes dépendent de ces services écosystémiques à l’échelle mondiale, et l’OCDE estime leur valeur à plus d’une fois et demie le PIB mondial, soit 140 000 milliards de dollars (5)

Les causes de la déforestation

Les principales causes de la déforestation sont sans surprise directement liées aux activités humaines. Parmi elles, on retrouve la première cause de déforestation au monde, l’agriculture, dont la production agricole et l’élevage représentent 80% de la déforestation mondiale (6). Selon la FAO, les autres principaux moteurs de la déforestation liés aux activités humaines sont les activités extractives (7% de la déforestation mondiale), le développement des infrastructures (10%) et l’expansion des zones urbaines (10%) (7).

Il existe également des causes de déforestation d’origine naturelle, même si ces dernières jouent un rôle bien moindre que les activités humaines. Parmi elles, on retrouve les feux de forêts, les éruptions volcaniques, les glissements de terrains, les inondations, ou encore les maladies et les parasites. Bien que ces catastrophes soient naturelles, leur fréquence et leur intensité sont accentuées par le dérèglement climatique. Elles participent également au dérèglement climatique, ce qui crée des boucles de rétroaction. 

 

 

II/ Une nouvelle réglementation européenne pour lutter contre la déforestation importée 

Depuis 2019, l’Union européenne à abordé la question de la déforestation à travers différentes politiques, coopérations internationales, financements ou encore via des investissements dans la recherche. Malgré cela, l’Union européenne est responsable de 16% de la déforestation importée, se classant ainsi en seconde position derrière la Chine (24%) et largement devant l’Inde (9%) et les Etats-Unis (7%) (8). C’est pourquoi, dès 2021, l’Union européenne s’est penchée sur le sujet, avec pour objectif d’interdire l’importation vers le marché européen de produits liés à la déforestation et à la dégradation des forêts. Plusieurs concertations ont eu lieu, mais c’est le 19 avril 2023 que le Parlement européen a voté le règlement sur la déforestation importée, avec un champ d’application plus large que prévu. Le Conseil européen l’a officiellement approuvé le 16 mai 2023 dernier avant d’être publié dans le journal officiel le 9 juin 2023. 

Zoom sur la réglementation 

Concrètement, qu’est ce que ce règlement va changer pour les acteurs des différents secteurs dépendant, de près ou de loin, des ressources forestières à fort impact ?

Les entreprises ont pour obligation de vérifier et de publier une déclaration de diligence raisonnable attestant que les marchandises qu’elles vendent au sein de l’Union européenne n’ont pas contribué à la déforestation ou à la dégradation des forêts, dans n’importe quelle région du monde, depuis le 1er janvier 2021. La déforestation englobe la conversion d’une forêt à des fins agricoles, qu’elle soit due ou non à l’humain (9), ainsi que la conversion des forêts primaires ou des forêts en cours de régénération naturelle en des forêts de plantation. De plus, les entreprises doivent également s’assurer que les produits respectent la législation du pays de production, y compris en ce qui concerne les droits humains et les droits des populations autochtones. Un délai de 18 mois est accordé aux entreprises pour se conformer à ces obligations.

Les produits concernés par la nouvelle législation sont :

  • le bétail
  • le bois
  • le cacao
  • le café
  • le caoutchouc
  • le charbon
  • l’huile de palme
  • les produits en papier imprimé
  • le soja

Les produits qui ont été fabriqués ou nourris à partir de ces différentes marchandises seront également inclus, c’est le cas notamment du cuir, du chocolat ou encore des meubles en bois. Un certain nombre de dérivés de l’huile de palme font également partie des produits soumis à la législation.

Evaluation des pays à risque et sanctions pour les écarts au règlement

La Commission classera les pays ou parties de pays en fonction du risque de déforestation, allant d’un risque faible à un risque élevé, par le biais d’une évaluation objective et transparente. Les produits en provenance de pays à faible risque seront soumis à une procédure simplifiée, tandis que ceux provenant d’un pays à risque élevé feront l’objet d’une procédure plus poussée. Des contrôles seront effectués à hauteur de 9% pour les pays à risque élevé, 3% pour les pays à risque standard et 1% pour les pays à risque faible.

En cas de non-respect de la réglementation, des sanctions seront mises en place. Ces sanctions seront établies de manière proportionnée et dans le but d’avoir un effet dissuasif. L’amende variera en fonction du niveau de risque attribué à la zone géographique. L’amende maximale imposée sera d’au moins 4% du chiffre d’affaires annuel total réalisé dans l’Union européenne par l’opérateur en infraction.

Des perspectives d’évolution en faveur de l’environnement sont à prévoir

La réglementation qui va entrer en vigueur est destinée à évoluer dans une direction favorable à l’environnement et la biodiversité. En effet, trois clauses de révision sont déjà prévues. La première révision, prévue dans environ un an, consistera à revoir le champ d’application territorial de la réglementation. L’objectif est d’élargir les zones concernées, en incluant par exemple les zones boisées, autres que les forêts, ce qui permettrait d’inclure notamment l’intégralité du Cerrado. La seconde clause de révision, qui interviendra dans les 2 ans, permettra d’étendre le champ d’applicabilité des produits concernés par la réglementation, allant au-delà des seuls produits dits agricoles en incluant, par exemple, tous les produits issus de l’extraction (métaux, minerais, etc.) ayant un impact significatif sur les forêts. Enfin, la dernière clause, d’ici à 5 ans, aura pour objectif d’effectuer une révision globale de la réglementation.

Une évolution potentielle supplémentaire pourrait voir le jour à l’échelle internationale. D’autres pays, tels que les Etats-Unis, surveillent attentivement l’évolution de la réglementation et observeront de très près le fonctionnement du dispositif. Il est donc envisageable que ces pays mettent en place leurs propres réglementations en s’inspirant de ce que l’Union européenne aura mis en œuvre.

 

 

III/ Qu’en pensent nos experts ? 

Un levier prometteur

Le premier point notable est que l’entrée en vigueur officielle de cette réglementation va obliger les entreprises à garantir la traçabilité de leurs produits. Certaines ont déjà pris les devant en s’engageant sur les questions liées à la déforestation, mais beaucoup ne sont pas encore en conformité. C’est ce que met en évidence le rapport publié en février par Global Canopy (10), avec pas moins de 40% des 500 entreprises considérées comme étant les plus à risque d’accélérer la déforestation au niveau mondial n’ayant aucune politique dans ce domaine.

Cette réglementation constitue une avancée significative pour réduire grandement l’empreinte de l’Union européenne sur la déforestation importée, en incluant dans son périmètre les principaux produits responsables de la déforestation, à savoir ceux du secteur agricole. De plus, cette réglementation ne se limite pas à la déforestation, mais englobe également la dégradation des forêts, ce qui permet de prendre en compte une superficie plus vaste soumise à la réglementation.

L’importance d’un suivi attentif

Il est cependant primordial de rester vigilant et attentif sur les limites de cette réglementation. Bien que la portée de la réglementation prenne en compte la dégradation des forêts en plus de la déforestation, elle se limite actuellement aux écosystèmes forestiers. Pourtant, des écosystèmes non forestiers tels que les savanes arborées (qui représentent une importante surface déboisée dans le Cerrado au Brésil), les prairies et les mangroves sont tout aussi essentiels que les forêts pour le climat et la biodiversité, et tout autant menacés. De plus, la conversion des terres en dehors du secteur agricole n’est pas prise en compte. Il faut donc espérer que dans les prochaines révisions, notamment sur l’élargissement du périmètre, ces écosystèmes soient concernés pour une réglementation véritablement complète et efficace. Par ailleurs, le secteur financier n’est pas inclus dans la réglementation. Les banques européennes qui financent des projets entraînant la destruction des forêts ne se voient pas réglementées sur leurs activités.

La caractère récent de la date de référence prise en compte (le 31 décembre 2020) peut également porter à réflexion. Les parcelles doivent en effet être exemptes de déforestation après cette date. C’est sur ce point que repose le plus grand risque car les grandes entreprises et producteurs pourraient contourner la législation européenne en rachetant des parcelles déboisées avant cette date. En revanche, les petits producteurs seront contraints de se restreindre à leurs terres actuelles, car ils ne disposent pas des mêmes moyens, notamment financiers, pour lutter face aux grandes entreprises. S’ils décident de cultiver de nouvelles parcelles vierges, contribuant ainsi à la déforestation, ils ne pourront alors plus exporter vers l’Union européenne. Il sera donc crucial que ces producteurs soient accompagnés par les grandes entreprises et travaillent en étroite collaboration avec ces dernières pour modifier leurs pratiques. De plus, il sera primordial que l’Union européenne facilite l’appropriation de cette réglementation par les petits producteurs. La version actuelle de la réglementation adoptée manque cependant de détails sur ce point. 

 

Si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à entrer en contact avec nos experts internes. Ils sont là pour vous aider à identifier les liens entre vos actions et la déforestation, ainsi que pour vous accompagner dans la construction d’une trajectoire zéro déforestation.

 

Sources de l’article : 

(1)  WWF. (2021). Lutter contre la déforestation
(2)  Aerts, R., Honnay, O. (2011). Forest restoration, biodiversity and ecosystem functioning. BMC Ecol 11, 29. https://doi.org/10.1186/1472-6785-11-29
(3) UICN. (2009) La vie sauvage dans un monde en mutation. La Liste rouge de l’UICN des espèces menacées.
(4) GIEC. (2013). «Climate Change 2013: The Physical Science Basis, Contribution of Working Group I to the IPCC 5th Assessment Report»
(5) OCDE. (2019). Financer la biodiversité, agir pour l’économie et les entreprises.
(6) FAO. (2020). Evaluation des ressources forestières mondiales
(7) FAO. (2016). Situation des forêts du monde
(8) WWF. (2021). “Quand les européens consomment, les forêts se consument.
(9)
European Commission. (2021). REGULATION OF THE EUROPEAN PARLIAMENT AND OF THE COUNCIL on the making available on the Union market as well as export from the Union of certain commodities and products associated with deforestation and forest degradation and repealing Regulation (EU). No 995/2010
(10)  Forest 500. (2023). 2023 : A watershed year for action on deforestation

Sources des infographies : 

Les forêts : 

– Aerts, R., Honnay, O. Forest restoration, biodiversity and ecosystem functioning. BMC Ecol 11, 29 (2011). https://doi.org/10.1186/1472-6785-11-29
https://www.wri.org/release-new-maps-show-forests-absorb-twice-much-carbon-they-release-each-year
https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/biodiversity/
https://www.fao.org/in-action/programme-forets-et-eau/actualites/news-detail/fr/c/1379806/ 

La déforestation : 

https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/deforestation/
https://www.conservation-nature.fr/ecologie/la-disparition-des-plantes/#:~:text=Ils%20ne%20recouvrent%20plus%20qu,%C3%A0%20cause%20de%20la%20d%C3%A9forestation.
https://www.fao.org/forest-resources-assessment/2020/fr