Un rapport publié par le Conseil général de l’économie (CGE) évalue le respect par les entreprises, concernées par le cadre imposé, dans l’établissement du plan de vigilance et propose des pistes permettant de perfectionner le dispositif existant.
La prise en compte des enjeux sociaux, environnementaux et sociétaux a pris un virage plus large suite à l’effondrement du Rana Plaza en avril 2013. Drame qui avait déclenché une réaction mondiale vis-à-vis des entreprises multinationales et de leurs responsabilités dans une économie mondialisée. En France, la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre, s’appliquant aux entreprises employant plus de 5000 salariés en France ou plus de 10 000 en France et à l’étranger, a été adoptée en mars 2017. Celles-ci doivent établir un plan de vigilance qui vise à identifier les risques et prévenir toute atteinte envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement.
Comment les multinationales françaises ont-elles reçu la Loi ? Quel est le niveau moyen de reporting en France ? Le Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies a évalué la mise en œuvre de la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, dans un rapport établi par Anne Duthilleul, ingénieur général des mines, et Matthias de Jouvenel, administrateur civil.
Les entreprises françaises, bonnes ou mauvaises élèves ?
Si des entreprises suivent l’obligation de reporting au point d’être publiquement récompensées par des évaluations, ce n’est pas le cas pour d’autres qui ne respectent pas encore formellement le Devoir de vigilance comme le montrent des études existantes.
L’évaluation de la Loi intervient peu de temps après sa mise en œuvre et se fonde sur des rapports sortis après la Loi, dont les « Premières analyses des plans de vigilance : quelles tendances des entreprises ? » publiées en 2018 par l’association Entreprises pour les Droits de l’Homme et B&L évolution. Parmi les 64 entreprises étudiées, nous avions relevé 55 qui ont réalisé ou initié une cartographie des risques, dont 2/3 qui intègrent spécifiquement le volet environnemental dans leur analyse de risque.
Concernant les droits humains, environ 1/3 des entreprises indiquent avoir revu l’identification de leurs enjeux droits humains liés à leurs activités internes en 2017 ou en avoir effectué une nouvelle. Il n’y a que peu de mentions d’actions nouvelles liées à l’identification des risques liés aux droits humains. Les principaux enjeux liés aux droits humains ne sont pas toujours mentionnés et quand ils le sont, restent assez généraux (mention d’un droit spécifique sans précision sur les activités, les sites, les pays les plus concernés par cet enjeu). Il était encore précoce d’étudier les premiers comptes rendus publiés en 2019 pour l’exercice 2018 alors que la Loi a été promulguée en 2017. Cependant, si l’on compare le niveau moyen du reporting français par rapport au reste du monde, la moitié des multinationales françaises se plie aux exigences (contre 2 sur une échelle de 5 pour le reste du monde).
Rappelons qu’en cas d’atteinte grave liée au manquement du Devoir de vigilance, les multinationales s’exposent à une recherche de responsabilité et une réparation des dommages.
Une série de recommandations pour mieux respecter le Devoir de vigilance
La Loi sur le Devoir de vigilance est comprise de manière disparate par les acteurs économiques, certains voient la vigilance comme un outil de protection de leur intérêt et de leur réputation et d’autres comme l’opportunité de renforcer la protection des droits humains, l’environnement, la santé et la sécurité dans toute leur chaine de valeur.
5 recommandations ont été énoncées dans le rapport pour encourager les différents acteurs et harmoniser les pratiques :
- A l’occasion d’un texte législatif portant sur des sujets proches, étendre l’application de la Loi sur le Devoir de vigilance aux formes juridiques non couvertes (SNC, SARL), voire harmoniser les critères avec ceux des « grandes entreprises » en France y compris pour les filiales de groupes étrangers (ajouter des critères de bilan et/ou de chiffre d’affaires, outre le nombre de salariés en France et à l’étranger) de façon à rendre cette application plus lisible.
- Charger un service de l’Etat de la promotion du Devoir de vigilance en prévoyant des moyens dédiés et en lui donnant accès aux données non publiables détenues par les autres administrations, pour lui permettre d’en vérifier et d’en renforcer l’application.
- Réaliser une veille attentive au sein de l’administration (service en charge de l’accompagnement du Devoir de vigilance, en liaison avec la Direction des Affaires Civiles et du Sceau au ministère de la justice) sur les procédures relatives à l’application de la Loi, afin de mesurer la nécessité de préciser certains points dans l’avenir et réduire ainsi les incertitudes juridiques.
- Promouvoir les approches sectorielles et multipartites pour harmoniser et mutualiser les bonnes pratiques du Devoir de vigilance. Sans s’y engager directement, l’Etat pourrait encourager ces pratiques par la promotion de leurs valeurs et, le cas échéant, dans ses politiques d’achats publics.
- Mobiliser le Gouvernement pour un élargissement au plan européen du Devoir de vigilance, en profitant de la révision prochaine de la Directive 2014/95/UE pour y intégrer les obligations correspondantes, en complément du reporting extra-financier, et pour éventuellement faire avancer la position de l’Union européenne au Groupe de Travail de l’ONU visant à rendre obligatoire le respect des principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de 2011.
L’application de la loi relative doit être mieux assurée dans les prochaines années. Si la loi française est un exemple à suivre à l’international, il y a encore des pays à convaincre, y compris en Europe où elle ne fait pas (encore) l’unanimité. L’enjeu est bien à terme d’harmoniser l’ensemble des législations sur les meilleures pratiques pour améliorer les conditions de travail, humaines et environnementales sur toute la planète !
Pour aller plus loin, lire aussi : « Premières analyses des plans de vigilance : quelles tendances des entreprises ? »