À la suite de l’accord de la COP15 à Montréal qui a définit les 23 cibles mondiales pour 2030, la COP16 biodiversité, prévue pour octobre 2024 en Colombie, sera l’occasion pour les pays signataires de soumettre leurs plans d’action nationaux, mais également des plans d’alignement des flux financiers, auxquels les institutions financières publiques comme privées peuvent (doivent, oserait-on dire) largement contribuer.
L’accord historique de la COP15 à Montréal a posé les bases d’une mobilisation mondiale pour la préservation de la biodiversité. À seulement cinq mois de la COP16 qui se tiendra à Bogota en Colombie, les pays signataires sont en pleine élaboration de leurs plans d’action nationaux (« National Biodiversity Strategy and Action Plans », ou NBSAP) mais aussi de leurs plans de financements nationaux (« National Biodiversity Finance Plans », ou NBFP), visant à aligner leurs flux financiers sur les objectifs du cadre mondial de Kunming-Montréal.
Dans cette optique, le rôle crucial des acteurs financiers, tant publics que privés, est largement souligné. Le Finance for Biodiversity (FfB) Pledge et ses plus de 170 institutions financières signataires représentant 22 trilliards d’euros d’actifs est un pas significatif, appelant les dirigeants mondiaux à adopter des mesures efficaces pour inverser la perte de biodiversité et à intégrer la protection de la nature dans leurs activités financières. Pourtant, malgré ces avancées, un écart financier colossal persiste vis-à-vis de la biodiversité, avec 200 milliards de dollars de financements positifs contre 7 trilliards de dollars de financements négatifs, selon les estimations de l’UNEP. Réduire cet écart est ainsi une priorité pour atteindre les objectifs de la COP15.
Pour y parvenir, la Finance for Biodiversity Foundation a proposé en avril 2024 quatre grandes recommandations et treize actions concrètes, alignées sur des cibles clés du Global Biodiversity Framework (GBF) de la COP15. Ces recommandations, à destination des gouvernements et des institutions financières de tous type, offrent un guide précieux pour s’engager activement dans les efforts internationaux de protection de la biodiversité en vue de la COP16, et pour aligner sa stratégie avec les attentes croissantes envers le paysage financier mondial.
Évaluer ses enjeux liés à la nature de manière robuste et cohérence : première étape indispensable pour les institutions financières
La première recommandation de la FfB Foundation, en lien avec la cible 15 du GBF, met l’accent sur la nécessité d’exiger des entreprises et des institutions financières qu’elles évaluent, contrôlent et divulguent leurs impacts, dépendances, risques et opportunités liés à la nature. Pour ce faire, des actions telles que la mise en œuvre d’exigences de reporting biodiversité (action 1), la cohérence entre les différentes normes de reporting au niveau international (action 2) et l’accès à des outils de mesure et des données géographiques ouvertes et accessibles (action 3) sont essentielles et préconisées.
A ce titre, le cadre de la TNFD est recommandé comme étant désormais un socle largement reconnu sur lequel s’appuyer, tant pour les institutions financières que pour les entreprises (Grands Groupes comme PME). En particulier, suivre les recommandations de l’approche LEAP préconisée par la TNFD constitue une approche méthodologique robuste pour évaluer ses impacts, dépendances, risques et opportunités liés à la nature, comme l’illustre l’adoption croissante de ce cadre par de nombreux acteurs économiques.
Suivre ce type de recommandations méthodologiques harmonisées est d’autant plus important que les réglementations et normes internationales sont invitées à un alignement, tant au niveau réglementaire (par ex. alignement entre les normes de la CSRD et celles de l’ISSB outre-Atlantique) qu’au niveau volontaire (par ex. avec la GRI, qui a dévoilé une nouvelle norme biodiversité en 2024 davantage alignée avec les nouveaux standards internationaux, ou la coopération entre la TNFD et l’EFRAG autour du reporting biodiversité de la CSRD).
Pour réaliser ces évaluations, la question du développement de données et outils de mesure relatifs à la nature se pose aujourd’hui de manière prégnante. L’accessibilité et l’ouverture de ces données et outils est indispensable, afin de ne pas freiner l’adoption et la compréhension de ces évaluations, ainsi que leurs évolutions. Par ailleurs, les limites actuelles des données et outils disponibles ne doivent pas servir d’excuse à l’inaction : l’expérimentation de ces outils est de mise, et les institutions financières ne doivent pas attendre pour s’en emparer et construire des premiers plans de transition et stratégies sur la base d’analyses qui resteront imparfaites pour encore plusieurs années. D’autant qu’au-delà des outils de mesure, les enjeux des secteurs et chaînes de valeurs sont globalement connus : il est possible de construire des plans de transition et des stratégies d’action sur la base d’une information limitée.
Se doter de plans de transitions englobant les enjeux climat et nature : seconde étape cruciale pour les acteurs financiers
La deuxième recommandation, centrée sur la cible 14 du GBF, préconise la mise en place de plans de transition en faveur de la nature et de multiplier les engagements de collaboration. Pour la FfB Foundation, il s’agit alors de soutenir activement à l’élaboration de plans de transformations sectoriels nationaux et internationaux (action 4), de rendre obligatoire l’adoption de plans de transition holistiques – climat et nature – pour les entreprises et institutions financières (action 5), ainsi que de faciliter les collaborations et les engagements au sein du secteur privé (action 6).
Afin de supporter cette action, le développement de plans de transformations sectoriels clairs et de politiques publiques correspondantes est un premier levier à activer afin de mobiliser le financement privé en faveur de ces transformations. Si les décideurs politiques jouent un rôle essentiel en orientant les économies nationales et internationales et en stimulant ces transformations, les acteurs financiers peuvent aussi et surtout adopter des positions et stratégies sectorielles à leur échelle, ambitieuses et en avance de phase, visant ainsi à mobiliser l’action et la transition collective, comme l’illustrent par exemple les engagements d’acteurs financiers contre la déforestation.
Et ce d’autant plus que les financements et investissements privés pour la conservation ou la restauration de la nature (200 milliards d’€) ne produisent aujourd’hui que des rendements financiers limités ou nuls et restent en conséquence minimes. Ils sont en effet généralement adaptés à des investissements ou à des fonds spécifiques – aujourd’hui modestes. Tandis que la majorité des flux financiers privés sont dirigés vers des entreprises cotées en bourse dans des secteurs économiques productifs, associés à des rendements financiers plus élevés. Cet écart de financement souligne le rôle crucial des institutions financières dans le soutien d’initiatives transformatrices dans des secteurs économiques à fort impact tels que l’agriculture, la chimie ou l’exploitation minière, afin de rediriger les financements actuellement néfastes à la nature (7 trilliards €). Afin de nourrir ces plans de transformations sectoriels, les institutions financières sont ainsi invitées à collaboration de place, comme peuvent par exemple l’illustrer en France le « Roquelaure Entreprises & Biodiversité ».
Par ailleurs, le consensus se poursuit sur la nécessité pour les institutions financières de reconnaître le lien entre le climat et la nature, tant vis-à-vis des synergies que des contradictions potentielles et compromis parfois nécessaires entre ces thématiques. Les plans de transitions devraient aller au-delà de la simple intégration de la nature dans les stratégies de décarbonisation pour adresser spécifiquement comment les opérations, les chaînes de valeur et les portefeuilles seront transformés de manière holistique pour permettre l’alignement des flux financiers sur les objectifs tant climatiques que relatifs à la perte de biodiversité.
Prendre part aux transformations plus globales des systèmes financiers : troisième objectif pour les acteurs financiers publics et privés
La troisième recommandation, également centrée sur la cible 14 du GBF, s’adresse aux banques centrales et aux autorités de surveillance, les appelant à intégrer les risques financiers liés à la nature dans leurs mandats (action 7), à intégrer la biodiversité dans leurs activités de politique monétaire et la surveillance prudentielle (action 8) et la gestion de leur portefeuille non-monétaire (action 9). Enfin, la quatrième recommandation vise à créer des incitations économiques pour les entreprises et les institutions financières afin de maximiser la mobilisation des financements privés en faveur de la biodiversité. Cela nécessite pour les gouvernements une coordination interministérielle au-delà des seuls ministères de l’environnement ou des finances (action 10), la réorientation de réglementations sectorielles, y compris fiscales, et de mécanismes de marché telles que les subventions (action 11), ou encore le développement d’instruments souverains de financement vert (action 12) ou d’instruments privés-publics (action 13).
L’intégration des risques financiers liés à la nature dans les mandats des banques centrales, mais aussi de toute institution financière, est une étape particulièrement importante qui devra être franchie ces prochaines années. Si le cadre de la TNFD permet d’adresser efficacement la première étape que représente l’identification et l’évaluation des risques liés à la nature, leur traduction en risques économiques puis financiers représente aujourd’hui un défi majeur pour les acteurs financiers. Le cadre conceptuel proposé en septembre 2023 par le NGFS, réseau qui réunit 114 banques centrales dans le but d’accélérer l’expansion de la finance verte, représente à ce titre un travail fondateur dont les institutions financières doivent aujourd’hui s’emparer.
Mobiliser les acteurs financiers pour la préservation de la biodiversité est un impératif absolu à l’approche de la COP16, et ces recommandations de la FfB Foundation offrent un aperçu relativement complet pour guider les institutions financières dans cette transition essentielle, de l’identification des leurs enjeux liés à la nature à l’élaboration de stratégies et plans de transitions robustes. En travaillant ensemble, et en collaboration avec les gouvernements, les acteurs financiers peuvent transformer les défis actuels en opportunités pour préserver la biodiversité et la richesse naturelle de notre planète.