Lorsque l’on s’intéresse aux impacts environnementaux d’un produit ou d’un service numérique, il est difficile de faire l’impasse sur ceux liés à la ressource en eau, une ressource vitale qu’il est essentiel de préserver. Quel que soit le secteur d’activité, les interactions avec l’eau sont présentes de façon plus ou moins évidente. 

Cependant, il n’est pas toujours facile de s’y retrouver parmi les différentes méthodes d’évaluation de l’empreinte eau qui cohabitent dans le monde de l’ACV. BL évolution vous propose un tour d’horizon des principales méthodes utilisées. Découvrez le mode de calcul de ces méthodologies et ce que cela signifie en termes d’interprétation dans les résultats et  les limites de ces méthodes à toujours garder en tête lors d’une analyse de cycle de vie.

Afin de vulgariser des éléments théoriques, nous avons par la suite utilisé des exemples issus du numérique, ces exemples sont volontairement simplifiés. 

 

Il existe une multitude d’indicateurs environnementaux qui ont un rapport avec l’eau. En effet, l’eau interagit généralement de plusieurs manières et à différents moments avec les systèmes étudiés dans les études environnementales, comme l’Analyse de Cycle de Vie (ACV)¹.

Les indicateurs (dits « midpoints² ») de l’ACV abordent chacun le sujet de l’eau sous un angle différent :

  • Épuisement des ressources en eau : mesure la consommation d’eau directe et indirecte.
  • Écotoxicité aquatique : mesure l’impact de polluants sur les écosystèmes aquatiques (rivières, lacs, océans).
  • Eutrophisation aquatique : mesure les effets de l’accumulation de nutriments dans les écosystèmes aquatiques, souvent due au rejet de produits chimiques.
  • Acidification de l’eau : évalue l’acidification (diminution du pH de l’eau) provoquée par les émissions de certains composés chimiques.

Certains évaluent l’eau en tant que ressource, tandis que d’autres considèrent sa composition changeante en lien avec les effets du processus étudié. Même si ces différents aspects sont parfois liés, cet article se concentre sur l’angle de l’épuisement des ressources en eau.

1)  Les différentes méthodes de mesure de la gestion des ressources en eau en ACV

Les différentes méthodes de caractérisation³ évoluent avec le temps. Aujourd’hui deux méthodes sont majoritairement utilisées : ReCiPe et AWARE.

Pour illustrer les deux méthodes, prenons un exemple simplifié fictif. Pour fabriquer un smartphone, il faut environ une cinquantaine de métaux différents. Ces métaux nécessitent d’être extraits, et plusieurs étapes de cette phase nécessitent de l’eau. Si vous souhaitez en savoir plus sur les enjeux de l’eau dans le numérique, une publication est à venir sur ce sujet, suivez-nous sur LinkedIn pour rester informé !

Prenons l’hypothèse que 0,5 m³ d’eau sont nécessaires pour l’extraction d’un kg de métal.

La méthode ReCiPe

ReCiPE/ m³

Répond à la question : Quelle est la quantité d’eau consommée à partir de la phase d’extraction ?

Cette méthode évalue la quantité d’eau qui n’est plus disponible dans le bassin-versant⁴ d’origine, ni pour les humains, ni pour les écosystèmes. Il est important de différencier l’eau consommée de l’eau prélevée. Ici, il s’agit bien d’étudier l’eau qui n’est plus disponible dans le bassin versant d’origine, cette eau a donc été consommée et le bilan peut être obtenu en soustrayant l’eau rejetée de l’eau prélevée.

Le résultat est difficile à interpréter en termes d’impacts sur les écosystèmes et sur les humains.

Si nous revenons à notre exemple, avec cette méthode, nous calculons que 0,5 m³ d’eau ont été consommés pour extraire ce kg de métal. Ce résultat est assez parlant, et il est possible d’imaginer des équivalences nécessaires (selon la valeur : bouteilles d’eau, nombre de piscines olympiques…), pour rendre le chiffre plus concret.

La méthode AWARE (Available WAter REmaining)

Aware : Available WAter REmaining/ m³ world equiv 

Répond à la question : Quel est le potentiel de privation d’un autre utilisateur d’eau douce (humain ou écosystème) en consommant de l’eau douce dans cette région ? 

La méthode AWARE évalue le potentiel de privation d’eau, que ce soit pour les humains ou les écosystèmes, en partant du principe que moins il reste d’eau disponible par zone, plus il est probable qu’un autre utilisateur (humain ou végétal et animal de l’écosystème aquatique) en soit privé. Tout comme ReCiPe, elle prend en compte l’eau consommée, cependant, cette méthode intègre également une régionalisation permettant de prendre en compte le stress hydrique généré dans la région.

Les résultats affichés apparaissent généralement comme plus importants que l’estimation d’une consommation d’eau directe des procédés.

De retour à notre exemple, pour appliquer cette méthode, nous avons besoin de plus d’informations. Nous ajoutons l’hypothèse qu’un kg de métal est produit en Finlande et un autre au Chili.

  • Métal extrait en Finlande : les bases de données open source disponibles⁵ indiquent qu’en prenant en compte l’eau disponible sur le territoire, les besoins en eau des humains et de l’écosystème aquatique, la disponibilité en eau en Finlande pour les usages industriels est de 0,0068 m³/mois/m².
  • Métal extrait au Chili :  de la même manière, la disponibilité en eau au Chili pour les usages industriels est de 0,000162 m³/mois/m².

Ces facteurs sont ensuite normalisés pour être placés sur une échelle mondiale de 0,1 à 100.

Ainsi nous obtenons 2 valeurs différentes d’impact eau selon si le métal est extrait en Finlande ou au Chili :

  • Métal extrait en Finlande : 4,76 m³ world equiv
  • Métal extrait au Chili : 403,9 m³ world equiv

2) Comment interpréter les résultats et quels en sont leurs limites ?

L’interprétation des indicateurs sur l’eau en ACV est un sujet complexe. L’interprétation ne peut se résoudre à convertir le résultat obtenu en m³, en nombre d’heures passées sous la douche (comme cela peut être souvent vu) pour avoir une interprétation complète. Certes, la quantité d’eau brute utilisée tout au long du cycle de vie du produit ou du service nous apporte une information importante. Cependant, il faut également remettre en perspective le résultat avec ses interactions sur les écosystèmes, les ressources et les besoins du territoire. C’est l’une des différences notables entre la méthodologie ReCiPe et la méthodologie AWARE.

Plusieurs aspects sont à prendre en compte dans l’analyse : 

  • La quantité d’eau brute utilisée

Le point commun entre les 2 méthodologies vues précédemment est que les deux incluent dans l’inventaire la quantité d’eau brute utilisée. Pour se représenter les quantités d’eau utilisées, des analogies peuvent être faites avec un nombre de piscines olympiques ou un nombre d’heures passées sous la douche. Cependant ces analogies doivent être utilisées avec précaution car elles pourraient invisibiliser une partie des informations qu’apporte notamment l’indicateur AWARE sur le stress hydrique généré. De plus, cela pourrait encourager la comparaison entre deux résultats calculés avec une méthodologie différente qui ne sont en réalité pas directement comparables car pas dans la même unité (m³ vs M³ world equiv).

L’impact sur les écosystèmes ne dépend pas uniquement de la quantité d’eau prélevée, c’est la raison pour laquelle la méthodologie AWARE, contrairement à la méthodologie ReCiPe, prend en compte la notion de stress hydrique. Même si AWARE tente de couvrir un périmètre plus large, cette méthode garde des limites en pratique. 

La notion de stress hydrique est développée selon les 3 éléments suivants : 

  1. La régionalisation 

Afin d’intégrer la notion de stress hydrique, la méthode AWARE propose l’inclusion de flux régionalisés. Ainsi, pour une même consommation brute d’eau, le résultat sera plus élevé si l’eau est consommée dans une région désertique, que si elle est consommée dans une région possédant de bonnes ressources en eau. La consommation d’eau est mise en perspective avec les ressources en eau du territoire et ses besoins. Cependant, en pratique, il est assez compliqué de remonter jusqu’à ce niveau de granularité de données. Il arrive donc régulièrement d’utiliser des facteurs globaux. Il est donc important pour l’interprétation des résultats d’identifier si les flux ont été régionalisés ou non.

La méthode ReCiPe quant à elle, ne prend pas en compte la notion de stress hydrique, elle n’utilise pas de flux régionalisés. Il apparaît alors plus pertinent d’utiliser cette méthode dans le cas où la régionalisation des flux n’est pas effectuée, car les résultats seront plus faciles à interpréter. Il faut tout de même garder en tête que le résultat n’apporte aucune information quant au stress hydrique généré.

  • L’origine géographique du prélèvement : 

Un deuxième élément à prendre en compte dans l’analyse est l’impact de l’origine du prélèvement. Selon l’origine du prélèvement, au début de la source, ou à la fin, le prélèvement de l’eau n’aura pas le même impact sur les écosystèmes. En effet, si le prélèvement a lieu à la source d’un fleuve par exemple, les impacts sur les écosystèmes vont être répercutés sur tous les territoires traversés par le fleuve, notamment via le débit qui sera amoindri. Or, si ce même prélèvement est effectué à l’embouchure du fleuve, les écosystèmes n’auront pas été perturbés sur tout le cycle de vie amont (c’est-à-dire de la source au lieu de prélèvement). De plus, un flux d’eau douce prélevé sur le littoral avant son déversement dans la mer privera très peu les écosystèmes en eau douce, tout comme un rejet dans l’eau salé ne régénérera pas la ressource locale en eau douce. La localisation du prélèvement influe donc sur le stress hydrique généré sur le territoire. À ce jour, les indicateurs d’Analyse de Cycle de Vie (ReCiPe comme AWARE) n’intègrent pas cette donnée. C’est une limite de ces analyses.

  • La temporalité du prélèvement : 

Le dernier élément à prendre en compte est l’impact de la temporalité du prélèvement. De la même manière que pour l’origine géographique, un prélèvement d’eau n’aura pas le même impact sur les écosystèmes s’il est prélevé en période de sécheresse ou en période de pluie. L’indicateur AWARE propose des facteurs de caractérisation temporels (mensuels). Ces facteurs sont mensuels et prennent donc en compte la saisonnalité des cycles de l’eau. De la même manière que pour la régionalisation, en réalité, ces flux ne sont pas toujours utilisés, en particulier dans le secteur industriel. L’indicateur ReCiPe n’inclut pas cette dimension dans sa méthodologie de calcul.

3)  Perspectives pour l’analyse des impacts sur l’eau

L’interprétation des indicateurs eau est un sujet complexe, les méthodes utilisées actuellement ont chacune leurs limites. Il ne s’agit pas d’opposer les deux méthodes présentées, mais plutôt de les considérer comme complémentaires. Selon le contexte de l’étude, les données disponibles, les attendus de l’ACV, etc, chaque méthode aura ses avantages et ses inconvénients. Il est donc important de prendre du recul sur l’interprétation de ces indicateurs, peu importe la méthode, afin d’utiliser les résultats de la meilleure des manières lors de la mise en action. De plus, l’eau reste un enjeu majeur de nombreux secteurs, c’est donc un indicateur à ne pas négliger lors d’une analyse de cycle de vie. 

Les méthodes d’ACV s’améliorent d’année en année, le sujet de l’empreinte eau et de ses indicateurs est un champ de recherche assez actif. Une étude de ScoreLCA devrait proposer prochainement un retour d’expérience sur le traitement de l’impact sur l’eau dans les évaluations de produits et systèmes, et formuler des recommandations sur la prise en compte de cet enjeu. 

Le sujet eau vous a-t-il intéressé ? Restez attentifs ! D’autres publications sont à venir sur notre site afin d’explorer les enjeux de l’eau, en particulier dans le secteur du numérique.

 

Définitions :

¹ Analyse de Cycle de Vie (ACV) : Méthode d’évaluation normalisée (ISO 14040 et 14044) permettant de réaliser un bilan environnemental multicritère et multi-étape d’un produit ou service sur l’ensemble de son cycle de vie (de l’extraction des matières premières à la gestion de la fin de vie, en passant par l’utilisation).

² Indicateurs « midpoints » et « endpoints » : Les indicateurs « midpoints » sont des indicateurs d’impact « orientés problèmes ». Ils quantifient les effets globaux d’une substance émise ou consommée, dans une catégorie d’impact donnée. A contrario, les indicateurs « endpoints » sont des indicateurs d’impacts « orientés dommages ». Ils quantifient les dommages potentiellement causés à un domaine de protection par l’intermédiaire d’une catégorie d’impact.

Exemple d’indicateurs « midpoints » : réchauffement climatique, acidification du milieu aquatique, extraction de minéraux.

Exemple d’indicateurs « endpoints » : santé humaine, qualité de l’écosystème, disponibilité des ressources.

³ Méthode/modèle de caractérisation : Ensemble de facteurs qui sont utilisés pour convertir les résultats de l’inventaire du cycle de vie en unité commune d’indicateur de catégorie. Les modèles de caractérisation traduisent les mécanismes environnementaux.

 ⁴ Bassin versant : Zone terrestre qui canalise les précipitations, la fonte des neiges et le ruissellement vers un plan d’eau commun.

⁵ Bases de données : Il s’agit ici des facteurs AWARE disponibles en ligne : https://wulca-waterlca.org/aware/download-aware-factors/

⁶ Inventaire de cycle de vie : Inventaire qui catalogue les flux élémentairestraversant les frontières du système et fournit le point de départ pour l’évaluation de l’impact du cycle de vie.

Flux élémentaire : 

  • Flux de matière ou énergie entrant dans le système étudié, qui a été puisé dans l’environnement sans transformation humaine préalable,
  • Flux de matière ou énergie sortant du système étudié, qui est rejeté dans l’environnement sans transformation humaine ultérieure