L’organisation des Jeux Olympiques modernes, imaginée pour la première fois en 1896, est une entreprise économique mais aussi urbaine pour les villes hôtes et les États qui les soutiennent. Elle est même devenue un défi, à double titre : économique et urbain.

Économique d’abord, parce que les installations nécessaires à la tenue des Jeux sont de plus en plus importantes. Les budgets publics et les investissements privés sont une condition même de la candidature : une assise financière importante est incontournable.

Urbain ensuite, parce que les JOP ne peuvent se tenir ailleurs qu’au cœur des grandes villes, pour des raisons évidentes : elles disposent des équipements sportifs et des infrastructures nécessaires pour accueillir les délégations et le public. Aéroports et liaisons ferroviaires, métros, offre hôtelière, et une multitude de services urbains (sécurité, hôpitaux…) sont des conditions indispensables.

Pour ces deux raisons, les olympiades sont hébergées par des grandes capitales ou des métropoles de grands pays riches. Depuis Montréal 1976 et sa dette, les instances du CIO sont plus vigilantes sur les capacités économiques des États à garantir les candidatures et sur la réutilisation d’infrastructures existantes.

Paris 2024 a de solides atouts : la qualité de ses infrastructures sportives existantes, accessibles en transports, souvent déjà aux normes internationales. La métropole accueille chaque année plus de 20 millions de touristes et sait organiser des événements de grande dimension. Malgré cela, Paris ne disposait pas de tout, et devait rénover ou construire de nouvelles installations. Comme maints dossiers antérieurs, ces Jeux ont donc été l’occasion d’une formidable accélération d’opérations d’urbanisme de toutes sortes.

  • Quel est ce mécanisme qui permet ces accélérations opérationnelles ?
  • Quels sont les avantages de cette accélération, et ses limites en termes de qualité de l’urbanisme ?
  • Ce mécanisme peut-il être appliqué à d’autres questions comme la transition écologique des villes ? A quelles conditions ?
Le mécanisme d’accélération des opérations d’urbanisme

Ce mécanisme est complexe, mais il est possible de le résumer par trois éléments souvent absents des opérations d’urbanisme ordinaires : l’alignement des principaux acteurs vers un projet commun, une vision de ce qui doit exister au terme de l’opération, à projet exceptionnel, moyens exceptionnels, et la nécessaire cohérence des choix d’aménagement au regard d’un règlement devenu très complet et très strict.

Ces trois conditions sont rarement réunies dans l’histoire urbaine. Si l’on regarde par exemple le cas de Paris, elles se sont présentées à peu de reprises : sous Napoléon III, Paris connaît une opération de reconfiguration urbaine de grande ampleur, puis à nouveau dans les années 1960, sous la 5e République naissante et entreprenante, lorsque de grands projets d’aménagement sortent de terre et transforment Paris pour en faire une capitale mondiale (secteur Défense, système autoroutier, RER, villes nouvelles autour de Paris…).

L’organisation des JOP permet de façon exceptionnelle de réunir les acteurs, de concentrer les moyens financiers et techniques, et d’obliger à des choix cohérents. L’adhésion du public aux messages véhiculés par les Jeux, sur laquelle s’appuient les villes candidates, est mobilisée au moment de la candidature (le CIO est particulièrement attentif aux sondages d’opinion sur l’acceptation par la population du pays hôte) mais aussi dans la phase de mise en œuvre réelle.

L’organisation des Jeux a cette fonction dont l’urbanisme « ordinaire » manque souvent, de soulever les foules et de susciter de l’adhésion. Ils sont donc des accélérateurs d’opérations d’urbanisme complexes appréciés.

Avantages et inconvénients de l’accélération des mutations urbaines

Comme pour toute opération d’urbanisme d’ampleur, il y a des gagnants et des perdants. Les bilans des JOP sont scrutés par les populations, les oppositions politiques, par le CIO lui-même, et font en outre l’objet d’une littérature scientifique importante (thèses en urbanisme, géographie, économie publique). Or les bilans sont souvent difficiles à dresser, souvent contrastés, et sont objet de controverse.

Les critiques les plus fréquentes concernent le gigantisme des JOP, la promesse non tenue de réutilisation des infrastructures, le dépassement des budgets et les impacts négatifs sur les populations locales (délogements, expropriations, nuisances, perte d’espaces…). Ces critiques sont en partie justifiées, ou méritent d’être entendues, à l’aune d’héritages problématiques des villes comme Montréal, Athènes, et Rio. D’autant que les retombées positives des JO sur les territoires et les populations concernées sont difficiles à quantifier, parce qu’elles impliquent plusieurs échelles d’espace et de temporalité.

Dans le cas des JOP de Paris 2024, il est bien sûr trop tôt pour dresser un bilan complet, mais on peut d’ores et déjà faire quelques constats.

Amélioration des infrastructures de transport

Les JOP de Paris s’inscrivent dans une stratégie plus générale de maintien au niveau international de Paris dans la compétition féroce que se livrent les métropoles de rang mondial : de ce point de vue, Paris accumulait dans les années 2000 un vieillissement de ses infrastructures de transport par exemple. La décision d’étendre le réseau des lignes de métro (14 à 18) desservant la banlieue parisienne en 2010-11, puis le lancement des études puis des chantiers a, dans le sillage de la candidature de Paris pour 2024, incontestablement joué un rôle positif dans la décision du CIO en 2017.

Et c’est ensuite parce que Paris a obtenu l’organisation des JOP en 2024, et forte de la conviction qu’elle serait prête, que l’ensemble de la « machine » d’ingénierie d’un tel grand projet a pu accélérer. Du point de vue de l’amélioration des transports en commun, le bilan pour les « grands parisiens » devrait être bon : Paris ressortira des Jeux 2024 avec de meilleures infrastructures de transport.

Il y a eu un effet de co-entraînement entre projets d’infrastructures et organisation des Jeux.

Construction d’infrastructures pour les Jeux

Les principales opérations d’urbanisme réalisées pour Paris 2024 incluent le village olympique, le village des médias, les liaisons avec les stades, et enfin la construction de la nouvelle piscine olympique. Après les Jeux, le village des athlètes sera converti en quartier d’habitation, d’équipements et de bureaux. Il a bénéficié d’un travail poussé sur la qualité des constructions, avec un recours au bois inédit pour la construction même, globalement une approche bio-climatique et certaines innovations intéressantes en matière d’adaptation.

Cette conversion en quartier, qui reste à réussir, d’un ensemble qui est pendant les Jeux un vaste « système hôtelier » pour athlètes est incontestablement un héritage important de cette Olympiade dans un secteur où le logement reste très recherché. Les règles d’urbanisme locales (Plaine Commune) devraient s’appliquer, avec près de 50% de logements à caractère social. L’ambition de démontrer le savoir-faire des entreprises françaises en matière d’éco-quartier est également remplie.

Nicolas Lecuyer, ancien directeur adjoint de la stratégie et du développement de l’EPA Plaine de France, évoque la candidature aux JOP comme un facteur puissant d’accélération d’urbanisme pour le territoire nord de Paris :

« J’en ai discuté récemment avec la direction de l’aménagement de la SOLIDEO, et le premier enseignement c’est que la loi JO n’a pas été déterminante dans les délais de réalisation, et a finalement été très peu utilisée. Dans les faits, peu de dérogations – permises par la loi, ils s’en sont très peu servi, et le gain de temps réel n’aurait pas été significatif.

Le vrai effet accélérateur fut ailleurs : tous les acteurs ont dû s’aligner sur un même objectif : État, politiques locaux, techniques, et la cadence devait être la même pour tout le monde.
Et dans le respect complet de toute les procédures : tout a été fait dans les règles, du code de l’ur
banisme, du code de l’environnement, des marchés publics, mais chacun allant dans le même sens et au même rythme. Avec une obligation de résultat. Par contre, pour aboutir à chaque étape, il y a eu des tensions entre les acteurs, mais personne ne pouvait rester cantonné sur sa position, il fallait trouver des solutions. »

« Les JO, c’est un petit peu comme un mariage : tu invites beaucoup de monde à une date déterminée, et il faut que tout soit prêt pour cette date. Quand il y a une date indépassable, elle s’impose, et elle est opposable. »

 

La leçon des Jeux pour un urbanisme de transition réussie

L’urbanisme de grands projets doit respecter les populations locales, c’est un impératif catégorique, et cela fait partie des invariants de tout projet urbain respectueux et réussi, parce qu’il sera approprié. D’un autre côté, ces projets, l’histoire de l’urbanisme nous l’a montré, ne deviennent possibles que parce qu’ils bousculent le calendrier et certaines oppositions locales, et par la réunion de plusieurs conditions : l’alignement des acteurs majeurs, la concentration dans l’espace et dans le temps de moyens juridiques et financiers exceptionnels permettant de débloquer certaines situations (foncières, techniques, réglementaires…) et la cohérence des choix d’aménagement, ce qui demande des équipes multidisciplinaires.

Ces mécanismes, dont l’organisation des JOP nous enseignent qu’ils sont essentiels, pourraient être utilement transposés dans un défi majeur : la transition écologique des villes, de façon plus cohérente et plus rapide.

Pour éviter les déperditions d’énergie, de financement, de ressources et les concentrer sur les besoins des populations, il est souhaitable de s’accorder sur quelques principes directeurs, que nous enseignent le cas des JOP :

  • L’investissement des politiques publiques : des taux trop faibles de travaux de rénovation thermique des bâtiments conduisent à des résultats médiocres en termes d’économie d’énergie et donc de gaz à effet de serre, par exemple ; le saupoudrage de financements sur les mobilités durables est actuellement également un vrai problème ; sur le plan des rénovations, les JOP de Paris ont déclenché de nombreux projets en la matière (mise en accessibilité de Coubertin, nouvelle toiture pour la piscine Georges-Vallerey, rénovations de plusieurs équipements sportifs…).
  • Faire preuve de constance dans celles-ci : le financement par «appels projets » ou par « expérimentations » a des limites fortes aujourd’hui, ni les collectivités ni les acteurs privés n’ont de visibilité suffisante pour conduire pleinement la transition en l’état ; les JOP nous enseignent la ténacité dans le temps d’un choix ferme.
  • Construire des décisions partagées avec la population et les différents acteurs : les JOP nous enseignent également sur ce point, avec ce travail de communication important, inventif parfois, pour obtenir l’adhésion positive des populations, en rendant le projet désirable, en sachant même déclencher un certain enthousiasme (le long parcours médiatisé de la flamme olympique pendant plusieurs mois, l’engouement populaire tout au long du parcours) jusqu’aux Jeux, pendant les Jeux et au-delà (confiance dans l’avenir). Il faut s’inspirer des Jeux Olympiques pour la transition écologique des villes.
  • Faire des choix cohérents et signifiants : comme les JOP engagent le pays hôte à livrer ses projets à temps, à les réaliser dans un cahier des charges négocié, dense et tourné vers le « résultat », et à faire face aux aléas pendant les Jeux, il faut également que l’urbanisme de transition écologique de nos villes prennent des engagements réalistes, ambitieux, inventifs, sérieux, dans des projets cohérents entre eux, et qu’ils les tiennent.

Ces quatre conditions pour une transition urbaine et écologique réussie et socialement juste pourraient bien-être le véritable héritage des JOP.

 

Pour aller plus loin :

Découvrez les autres articles de la série JOP Paris 2024 :

Sur l’aménagement urbain :