Retrouvez ci-après l’intégralité de l’interview de Ghislaine Hierso – coopératrice de B&L évolution – dans PUBLIC + PARIS (PUBLIC design + humanity).
Le concept du cradle to cradle est le point de départ de l’économie circulaire. Pouvez-vous nous exposer les différences entre le concept d’économie linaire et de l’économie circulaire ?
L’économie circulaire est avant tout une économie de la pauvreté, une économie séculaire. De tout temps les hommes ont dû protéger leurs ressources, tout en réutilisant tout ce qui pouvait être réutilisable: la valorisation agricole, les restes alimentaires, les textiles, les ferrailles, les armes transformées en outil agricole…
Il faut avoir conscience que l’économie du gaspillage, l’économie linéaire : produire, consommer, jeter découle de la révolution industrielle. L’industrialisation de la production n’a pas seulement donné naissance à la production de masse, mais également à la consommation de masse, entraînant la création de nouveaux besoins et usages, sans se préoccuper de la fin de vie de tels objets. Les déchets sont alors jetés derrière la maison, cachés, ignorés, d’autant que les décharges demeurent éloignées des centres villes.
Les préoccupations sur la gestion des déchets sont liées aux problèmes sanitaires vers la fin du XIXème siècle dans les pays développés (cf. le Préfet Poubelle en France). La prise en compte des conséquences environnementales est venue dans un deuxième temps, après les années 70. Aujourd’hui nous devons prôner, comme j’aime à le dire : « une économie de la prospérité équitable dans la sobriété ». J’entends par là qu’il est nécessaire de préserver les ressources naturelles et de s’assurer que les exigences de réduction de la consommation prennent en compte les niveaux de développement de chaque pays. Nous devons garantir à tous l’accès aux ressources. Nous devons être plus efficaces, et plus efficients.
Le XXe siècle a été le siècle du gaspillage, il faut que le XXIe siècle soit le siècle du recyclage.
Les premiers rapports prenant acte de cette nécessité datent des années 1970 avec le rapport du Club de Rome (1972) et celui de Brundtland (1987) intitulé : « Notre avenir à tous ». Néanmoins, certains philosophes tels qu’Henri David Thoreau et Hans Jonas ont très tôt mis en avant les problèmes que poserait une civilisation technicisée. L’intégration de la politique de gestion des déchets encourage la dématérialisation ainsi que l’usage efficace des ressources… Cette politique est mise en œuvre depuis plus de 10 ans au Japon. Dès les années 2000, l’Europe publie ses premières réflexions sur la mise en œuvre d’une politique fondée sur un cycle des matières écologiquement rationnelles selon le principe des 3 R (Réduire, Réutiliser, Recycler). C’est de ces prises de conscience qu’est né le concept du cradle to cradle.
Cependant, le « tout retourne à la terre » doit être appréhendé avec prudence, car il faut éviter la dilution de la pollution. Par exemple, les DEEE (déchets électriques et électroniques) contiennent effectivement de métaux précieux qui peuvent être recyclés, mais aussi des substances dangereuses qui doivent être traitées avec précaution avant de pouvoir en disposer. Autre exemple, les déchets organiques doivent être collectés séparément, car ils ne doivent pas rentrer en contact avec d’autres matières organiques susceptibles de les contaminer. La prise en compte de notre patrimoine naturel est essentielle car le sol, la terre nourricière de la biodiversité, est souvent le parent pauvre de ces politiques qui oublient que le retour à la terre suppose de prendre de réelles précautions pour la préservation des ressources en eau et de la biodiversité.
De ce fait, l’économie circulaire ne se résume pas à une gestion durable des déchets, mais à une meilleure prise en compte de la hiérarchie du gaspillage : prévenir, consommer moins et mieux, réutiliser, réparer ce qui peut l’être avec peu de transformations, recycler en prenant en compte l’évaluation technique du produit, transformer le gaspillage en valeurs, récupérer de l’énergie (par la chaleur, l’électricité) et éliminer ce qui ne peut être réutilisé, ou transformé. Il s’agit là aussi d’une utilisation plus efficace et plus rationnelle des ressources (matières premières, eau, énergie…).
L’économie circulaire est souvent présentée comme une dynamique locale, de proximité. Il n’en demeure pas moins qu’elle devrait constituer une conversation globale, en évoquant la possibilité d’échanger certains matériaux recyclables (papier recyclé, ferrailles, plastiques …), comme le stipule le rapport sur les cycles et les orientations des produits et des échanges.
Á l’occasion du récent forum économique mondial de Davos, des réserves ont été émises quant au principe d’économie circulaire. En particulier, il s’agissait d’engager une conversation à propos d’un « Nouveau Contexte Global », soit la mise en place d’un modèle économique plus respectueux des hommes, de l’environnement et, plus généralement, de la planète. C’est un point essentiel du débat.
Quelle est la place d’un citoyen lambda dans ce schéma économique ? Quelles peuvent être ses actions quotidiennes pour participer à cette démarche écologique et économique ?
Je dirai que tout citoyen, toute entreprise, toute collectivité, toute autorité doit participer à l’économie circulaire et chacun à son échelle.
Que sous-tendent les objectifs définis pour mettre en œuvre l’économie circulaire ?
Éviter le gaspillage des ressources et de l’énergie, sécuriser l’approvisionnement en matières premières, diminuer les impacts environnementaux, réindustrialiser les territoires, limiter la production de déchets non recyclables.
Quelles mesures entreprises et gouvernements peuvent-ils prendre dans ce contexte ?
Ils peuvent tout d’abord impliquer tous les citoyens. Ils peuvent également encourager les entreprises à mobiliser les collectivités et développer des activités innovantes afin de créer des emplois.
Chaque citoyen lors de ses achats doit s’assurer de son besoin réel et usage, et lorsque le produit arrive en fin de vie, il doit trier ses déchets pour en faciliter l’éventuelle réutilisation, et le recyclage. L’entreprise, tout au long du processus de production doit s’assurer d’intégrer et de comprendre la durabilité de son produit ou de son service, depuis sa conception jusqu’à sa fin de vie.
Les collectivités territoriales doivent mettre en œuvre les dispositifs facilitant l’utilisation des déchets sur un territoire comme ressources pour un autre (l’écologie industrielle), tout en multipliant les campagnes de prévention afin de relayer l’information à un public plus large. Cela contribuerait à faire prendre conscience du fait que nous sommes tous concernés par la réduction des impacts environnementaux.
Les autorités européennes et nationales doivent élaborer des réglementations prenant en compte ce nouvel écosystème économique du territoire industriel.
Pourtant, à l’heure actuelle – malgré les avancées (initiative 3R), notamment dans le cadre du G8 en juin 2004, et en dépit des 17 objectifs de Développement durable adoptés par les Nations Unies en septembre 2015 (voir également l’étude B&L évolution sur la Prise en compte des ODD par les Entreprises), qui intègrent la protection des ressources, et la prise en compte de nouveaux modèles économiques, des réglementation européenne et nationale (Directives européennes, Grenelle de l’environnement, Loi sur la Transition écologique) – les investissements publics ou privés, et la fiscalité, ne permettent pas de mettre en place un modèle solide et viable de valorisation des ressources de l’économie circulaire. La question de la volatilité du cours des matières premières présentée dans le Rapport Cyclope en est un autre exemple.
Au vu de ces impératifs écologiques, sociaux et économiques, la gestion des déchets et la valorisation de ces ressources doivent faire l’objet d’une politique transversale et intégrée pour faciliter la mise en œuvre d’un modèle d’économie circulaire.
L’économie circulaire ne fonctionne pas si l’approche intégrée ne prend pas en compte tous les impératifs écologiques (préservation des ressources et lutte contre la dilution de la pollution), sociaux (valorisation de métiers difficiles, réduction de la précarité), et économiques (volatilité des prix des matières premières, nouveau modèle économique). A ce jour, L’Economie Sociale et solidaire dans ses objectifs participe le plus activement à la mise en œuvre de cette économie circulaire par une économie plus contributive (cf. Bernard Stiegler).
Les projets sont nombreux à travers le monde mais se limitent bien souvent à des échelles modestes. Même si les approches locales sont essentielles, nous devons cependant nous mobiliser pour tendre vers un projet global.
Quels sont les dispositifs mis en place, par la France et par les Métropole du Grand Paris pour faciliter l’intégration de ces questions écologiques et économiques ? D’autres pays en avance dans ce domaine pourraient-ils servir de modèle ?
La ville de Paris a mis en place en septembre 2015, les Etats Généraux de l’économie circulaire où ont été présentées de nombreuses initiatives grâce aux rencontres avec les acteurs associatifs, le monde de l’entreprise, les chercheurs, les universitaires, et les directeurs des réseaux de l’économie circulaire. Différentes pratiques et différents idéaux se sont basés sur les piliers de l’économie circulaire tels que l’Eco-conception, l’Economie de la fonctionnalité, l’Ecomobilité, la lutte contre l’Obsolescence programmée, l’Usage, la réparation et recyclage. Le rendez-vous de l’Economie Circulaire se tiendra le 26 octobre 2016 – reconnaissant ainsi les initiatives locales et nationales – soit un an après que les Etats Généraux aient annoncé l’Economie Circulaire comme point d’orgue du Grand Paris. Afin de favoriser une meilleure compréhension de l’Economie circulaire, des ateliers de sensibilisation se tiendront dans les écoles, collèges et lycées : il s’agira de combattre le gaspillage, ou encore de proposer une formation sur le commerce et les savoir-faire.
De nombreux rapports sur l’économie verte et le mode de vie écologique ont été publiés, notamment par l’association 4D avec son Rapport et Programme sur les modes de vie, mais également par l’ADEME, et l’Institut de l’Economie Circulaire.
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