Avec la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), la France confirme sa place de pays moteur en termes d’ambition climatique sur la scène internationale. L’atteinte de la neutralité carbone est autant possible que nécessaire. Pourtant, de nombreux acteurs du développement durable (dont B&L évolution fait partie) partagent leur inquiétude grandissante sur les résultats insuffisants des dernières années et le manque de réaction face aux échecs passés. Quelles propositions faire ?
Le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire a organisé du 20 janvier au 19 février une consultation publique au sujet du projet de Stratégie Nationale Bas Carbone révisée. Si le travail réalisé pour formaliser l’objectif de la neutralité carbone à l’échelle nationale pour 2050 est considérable, B&L évolution a tout de même souhaité faire des remarques sur la feuille de route française pour la neutralité carbone.
Nous agissons au quotidien auprès d’entreprises et collectivités pour qu’elles s’approprient les enjeux de la SNBC et développent des stratégies ambitieuses. Nos observations de terrain nous ont permis de commenter le projet actuel de la SNBC, dont quelques recommandations sont citées ci-dessous.
Quel rôle ont les territoires dans la mise en oeuvre de la stratégie ?
Les régions et les EPCI sont des acteurs décrits comme indispensables à la réussite de la trajectoire et doivent en assumer la territorialisation. Fort de notre accompagnement d’une cinquantaine de territoires dans l’élaboration de leur PCAET, notre vision de terrain nous pousse à émettre quelques réserves. Bien qu’elles soient des acteurs stratégiques à la mise en œuvre de la SNBC, les collectivités ne doivent pas sentir que l’Etat leur délègue sa responsabilité. Il nous est régulièrement remonté un certain nombre d’injonctions contradictoires ou perçues comme telles. Par exemple, les traités de libres échanges internationaux signés semblent à de nombreux acteurs incompatibles avec la possibilité de mettre en place des mesures qualitatives de réduction des émissions de GES.
Le rôle qui incombe aux collectivités territoriales aujourd’hui est avant tout d’animer le territoire et de faire s’engager les différents acteurs de ce territoire. Nous avons remarqué que la SNBC n’étant pas suffisamment prise en main par les territoires et que ceux-ci n’avaient pas toujours les moyens (financiers ou humains) et les outils pour mettre en place des politiques ambitieuses. Des moyens suffisants doivent donc être mobilisés et orientés proportionnellement à l’impact climatique des actions correspondantes. Des efforts de sensibilisation et d’éducation à la transition écologique devront être faits, à l’attention des élus locaux comme des citoyens.
L’accompagnement et la territorialisation de la SNBC devraient donc être plus approfondis dans le document avec un détail des mesures et méthodes mises en place à l’attention des collectivités. La SNBC devrait notamment être l’occasion de questionner la nature même des documents d’urbanisme qui paraissent obsolètes au regard des enjeux de la neutralité carbone. Par exemple, la SNBC devrait intégrer une révision des règles d’urbanisme pour que tous les futurs documents cadres (Schéma de Cohérence Territoriale, Plan Local d’Urbanisme, Projet de Territoire…) soient construits avec un objectif préliminaire et obligatoire d’offrir la possibilité à chaque citoyen français de vivre avec moins de 2 tonnes de CO2e par an.
Des budgets carbones trop élevés pour l’ambition de la France
Aujourd’hui, la SNBC affiche un dépassement de son premier budget carbone sur la période (2015 – 2018) et revoit à la hausse le second (2019 – 2023) pour l’aligner sur les projections en cours d’émissions de gaz à effet de serre. Nous comprenons la démarche de structurer la nouvelle SNBC révisée sur les émissions de GES constatées plutôt que sur des budgets carbone intenables, cela donne en effet une meilleure visibilité de la situation réelle aux acteurs locaux qui développent leur propre stratégie. Cependant, comme souligné par de nombreux acteurs de la société civile, le rehaussement du deuxième budget carbone, après l’échec de la première période, s’apparente aujourd’hui à un recul de l’ambition de la France en termes de politique climatique car aucune mesure compensatoire ou corrective n’a été mise en place. Le carbone doit aujourd’hui avoir un prix, politique et financier. Un dépassement total de 179 Mt de CO2 sur les 2 budgets (dépassement sur la période 2015 – 2018 et rehaussement sur la période 2019 – 2023) correspond notamment, selon la valeur actuelle de la composante carbone (44,6€/tonne C02eq en 2019), à un montant théorique de près de 8 milliards d’euros de « dette climatique » de la France, sous réserve que les nouveaux budgets fixés soient respectés. Ce montant s’élève même à 10 milliards d’euros en prenant la valeur tutélaire du carbone estimée par la commission Quinet dans ses travaux de 2008 (56€/tonne CO2eq pour 2020). Cet argent pourrait être investi dans des mesures court terme ou dans des projets de compensation carbone certifiés afin de redonner de la crédibilité aux budgets carbone fixés par la SNBC.
Le bilan définitif du budget carbone 2015-2018 sera dressé au printemps 2020. B&L évolution souhaite qu’à cette occasion, le gouvernement prenne une position forte pour acter l’échec de sa politique climatique depuis 2015 et en tire des enseignements concrets pour la mise en œuvre de la SNBC révisée. Le rehaussement du 2e budget carbone pourrait par exemple s’accompagner d’une mobilisation d’un montant équivalent à la « dette climatique » associée, pour des mesures efficaces de réduction des émissions nationales ou de la compensation carbone certifiée.
La sobriété : un levier incontournable pour réduire notre empreinte carbone
Dans un monde réellement bas carbone, la sobriété pourrait devenir un pilier central du mode de vie des Français d’ici 2050 et il nous semble que les orientations de la SNBC et sa trajectoire peinent à se saisir pleinement du sujet.
B&L évolution s’est prêté à l’exercice d’imaginer une France bas carbone en 2030 en estimant concrètement les conditions pour tenir un budget carbone compatible avec l’objectif de limiter la hausse des températures à 1,5°C. Notre étude « Comment s’aligner sur une trajectoire compatible avec les 1,5°C ? » publiée fin 2018 indiquait que l’atteinte d’une trajectoire 1,5°C nécessiterait que la France soit beaucoup plus ambitieuse en matière de sobriété avec, d’ici 2030, une baisse de 4°C sur la température moyenne de chauffage des logements (contre une baisse de 1°C prévue dans la SNBC), une baisse de 30% de la demande en transport de marchandises (une hausse de 40% entre 2015 et 2050 est prévue dans la SNBC) ou le développement des mobilités actives à hauteur de presque 20% de part modale en 2030.
Il est surprenant de constater que la SNBC est parfois moins ambitieuse que les trajectoires tendancielles sur certains secteurs, comme la mobilité individuelle. Cela envoie un mauvais message à l’ensemble des acteurs en ne questionnant pas suffisamment leur mode de fonctionnement.
Ce questionnement profond s’accompagne également d’une prise en compte de l’empreinte carbone. En poursuivant la tendance actuelle, la part des émissions importées devrait dépasser les 50% de l’empreinte carbone d’un Français avant 2025. La trajectoire de la SNBC, prévoit d’ici 2050 un total d’émissions de gaz à effet de serre cumulées avoisinant les 10 000 Mt CO2e uniquement sur le territoire français. En considérant que l’empreinte carbone diminue dans les mêmes proportions, ce qui est une gageure tant les tendances s’en éloignent, nous serions responsables de près de 18 000 Mt CO2e d’émissions de GES d’ici 2050, sous réserve d’une application exacte du scénario AMS. Ce chiffre est incompatible avec les budgets maximums exprimés dans le rapport spécial 1,5°C du GIEC (tableau 2.2 chapitre 2).
Au-delà des mentions déjà faites dans la SNBC relatives à l’empreinte carbone des Français, nous souhaitons que cet enjeu soit considéré à sa juste valeur dans l’ensemble du document et non traité de manière marginale. Bien que la comptabilisation des émissions importées soit délicate, elle devrait être intégrée à minima de manière indicative dans les budgets carbone, pour que l’empreinte carbone soit considérée à sa juste valeur dans la SNBC.
S’aligner sur l’agenda mondial en faisant le lien entre climat et les autres enjeux sociétaux et environnementaux comme la biodiversité
Nous déplorons de manière générale un manque d’ambition de faire un lien fort entre la biodiversité et le changement climatique au-delà de l’évaluation environnementale stratégique. Décarbonation des transports, éclairage et pollution lumineuse, production alimentaire, affectation des terres… : Nous pensons qu’il est nécessaire de faire de la biodiversité un enjeu majeur au sein même de la SNBC.
Intégrer les ODD à la SNBC pourraient permettre d’expliquer la stratégie et ses ambitions mais également d’identifier si les décisions prises ont un impact positif aussi fort que celui attendu concernant la réduction des GES et les autres enjeux sociétaux. Cela permettrait également d’identifier les éventuels impacts négatifs sur des sujets qui sont parfois passés sous silence dans la stratégie (égalité des sexes, paix et justice) et ainsi pouvoir les éviter, les réduire ou les compenser. De manière générale, la SNBC reste trop concentrée sur un enjeu, celui de la décarbonisation de l’économie, et ne prend pas assez en compte les aspects systémiques. Sans cette approche, les aspects négatifs, tant sur l’environnement que sur les conditions sociales ne peuvent être bien anticipés et risquent à leur tour d’avoir des conséquences négatives limitant la capacité de suivre la trajectoire visée vers la neutralité carbone.
Que retenir ?
Les mesures déployées aujourd’hui pour la lutte contre le changement climatique doivent être cohérentes avec les objectifs nationaux si la France souhaite respecter ses engagements. L’urgence climatique doit notamment être placée au cœur des arbitrages interministériels, afin que le climat prenne la place transverse qui lui est due dans la politique du gouvernement. Cela n’a pas été suffisamment le cas jusqu’à présent et l’échec de la mise en œuvre de la SNBC sur la période du premier budget carbone devra être un élément déclencheur pour le futur. Il s’agit bien aujourd’hui « d’urgence climatique » comme inscrit dans la loi, une urgence qui ne transparaît pas suffisamment dans la SNBC. De manière générale, l’importance de l’évaluation de la SNBC a été négligée par le passé et nous souhaitons que ce travail soit plus approfondi afin que de vrais enseignements en soient tirés.