Réalisé avec le soutien de l’ADEME, Ecologic et Opinion Way, le baromètre de l’AGIT vise à évaluer la maturité des entreprises françaises à l’aide de 26 indicateurs. Principales conclusions : manque de connaissance du sujet, faible intégration stratégique, le chemin vers la maturité reste encore long…
Depuis 2017, l’Alliance Green IT (AGIT) interroge périodiquement les entreprises françaises sur leurs pratiques en matière d’informatique éco-responsable (Green IT). Nous allons ici nous intéresser aux résultats de la dernière édition en date (2020).
Avant de rentrer dans le vif du sujet, voici quelques éléments d’information sur l’enquête en elle-même. Celle-ci permet de faire un état des lieux de la maturité des entreprises. Son édition, annuelle, permet de voir les sujets qui progressent… ainsi que ceux qui régressent. Elle couvre l’ensemble du cycle de vie du matériel (fabrication, utilisation, fin de vie), les développements applicatifs et la gouvernance en matière de Green IT. Elle s’articule autour des 8 thématiques suivantes :
La collecte de données repose sur une méthode hybride :
- un questionnaire en ligne auto-administré par les répondants
- une enquête téléphonique (menée par Opinion Way) auprès d’un autre panel d’entreprises.
Cette méthode permet d’atténuer les biais de chaque outil. Répondre à une enquête en ligne demande un certain effort. Les répondants sont donc potentiellement plus sensibles que la moyenne au Green IT. A l’inverse, répondre à une enquête téléphonique demande peu d’efforts : les personnes sont directement sollicitées et accompagnées par l’enquêteur tout au long du questionnaire. Les réponses à l’enquête téléphoniques sont donc potentiellement moins sensibles que la moyenne au Green IT. En revanche, leurs réponses peuvent être influencées par l’échange avec l’enquêteur téléphonique.
Ces 2 outils ont permis de collecter les réponses de 672 organisations (367 pour le questionnaire en ligne et 305 pour le questionnaire par téléphone). Les répondants travaillent au sein de DSI, direction DD/RSE ou de direction générale, dans des organisations de toute taille, tant dans le secteur public que privé.
Une sensibilisation massive aux éco-gestes mais un sujet encore faiblement intégré aux stratégies d’entreprises
L’enquête évalue la sensibilisation des salariés sur 11 éco-gestes numériques. Les résultats sont encourageants. En moyenne, près des 2/3 des entreprises déclarent sensibiliser leurs salariés à des éco-gestes numériques permettant de réduire la consommation de ressources et d’énergie. Les éco-gestes liées aux impressions (qui sont monnaie courante depuis plus d’une décennie) sont davantage diffusés que ceux relatifs à la gestion des applications et des mails.
Si la sensibilisation est une étape incontournable, une démarche d’ampleur nécessite la mobilisation de moyens humains et financiers, ainsi que la mise en place d’instruments de pilotage et de suivi (stratégie, plan d’action, indicateurs). Ceci va de pair avec une plus grande maturité en matière de Green IT (cf. encadré ci-dessous). Ici les résultats s’avèrent moins encourageant.
Un nombre limité d’entreprises répondantes (environ 25%) déclarent allouer des ressources humaines et financières au numérique responsable. La même proportion déclare avoir défini un plan d’action. Si l’on rentre davantage dans l’opérationnel, la proportion s’amenuise encore : seulement 15% des entreprises répondantes déclarent avoir défini des indicateurs de suivi de leur stratégie.
Démarche structurée et maturité accrue de l’entreprise vont de pair
En analysant plus finement les résultats (à l’aide d’un tri croisé), on constate une nette différence de maturité des entreprises lorsqu’il existe une démarche structurée en matière de Green IT (politique et stratégie formalisées sur le sujet, existence d’un plan d’action, d’un budget et d’une personne référente). Les entreprises qui ont une démarche structurée connaissent entre autres mieux leur SI et font durer leurs équipements plus longtemps. Voici 2 exemples pour illustrer :
Il faut néanmoins garder à l’esprit que corrélation ne vaut pas lien de cause à effet. En effet, avoir structuré sa démarche peut potentiellement expliquer cette plus grande maturité. Mais dans le même temps, le fait d’atteindre un certain niveau de maturité peut inciter à structurer sa démarche. |
Achats : prima donné aux pratiques internes des fournisseurs et au matériel reconditionné
Pour les achats d’équipements, près de la moitié des entreprises répondantes pratiquent l’achat responsable en prenant en compte des critères environnementaux ou sociaux. Lorsqu’on rentre plus dans le détail des pratiques, celles des achats responsables semblent davantage porter sur les pratiques internes des fournisseurs que sur les produits proposés. Elles portent davantage sur les achats d’équipements que sur les achats de services.
Concernant les produits proposés, les entreprises répondantes privilégient l’achat de matériel reconditionné (28% à 34% des entreprises en achètent) aux produits éco-labellisés (24% à 28% des entreprises favorisent ce type de produits) et à la location (seulement 21% des entreprises y recourent).
Fin de vie : une bonne maturité sur la prévention des déchets qui cohabite avec un manque de maturité sur le tri
Pour la gestion de la fin de vie du matériel, les pratiques s’avèrent contrastées selon que l’on s’intéresse à la prévention des déchets (par le réemploi) ou à leur recyclage.
Pour la prévention des déchets, les entreprises répondantes font preuve de maturité, notamment pour les équipements informatiques. Une proportion très importante (78 à 81%) réemploie en interne ses équipements :
- soit entre les différents services de l’entreprise (exemple : un PC portable technique âgé de quelques années qui est réaffecté pour un usage bureautique)
- soit pour l’usage personnel des salariés.
Pour le recyclage, les résultats sont plus problématiques, notamment parce qu’ils dénotent qu’un nombre important d’entreprises ne respecte pas la réglementation sur l’obligation de tri en 5 flux des déchets de bureau. De même un nombre important ne respecte pas l’obligation de collecte séparée des déchets dangereux (D3E, toners et cartouches d’encres usagées, etc.)
En particulier, les entreprises manquent de maturité sur le recyclage des déchets d’impression (une problématique que l’on ne peut plus considérer comme nouvelle en 2020) : 43% des entreprises répondantes ne trie pas leurs déchets papiers, 34% ne trient pas leurs toners ou cartouches d’encre.
Un manque de connaissance sur des sujets fondamentaux (inventaire des équipements, durée de vie, consommation énergétique, réglementation sur les déchets, etc.)
Les taux de réponse « je ne sais pas » à l’enquête par questionnaire montrent un manque de connaissance sur un certain nombre de sujets. De manière générale, dès que les questions dépassent les sujets les plus simples (éco-gestes numériques, par exemple), les répondants se retrouvent fréquemment en incapacité de fournir une réponse.
On observe ainsi des taux élevés de réponses « je ne sais pas » (de 20% à 70%) sur des sujets techniques (l’optimisation de l’infrastructure, par exemple) ou lorsqu’il s’agit de détailler des pratiques (l’adoption de techniques d’éco-conception, par exemple). Ceci montre une maturité limitée des entreprises sur le sujet.
Voici quelques exemples marquants illustrant ce manque de connaissance :
Question | Taux de réponses « Je ne sais pas » |
Intégrez-vous les bonnes pratiques numérique responsable (conception,
utilisation) dans les outils métiers ? |
28 % |
Connaissez-vous le nombre de serveurs physiques et de serveurs virtuels dans votre entreprise ? | 30 % |
Utilisez-vous du matériel écolabelisé ? | 31 % |
Préférez-vous la remise à niveau des équipements (augmentation de la puissance, de la capacité de stockage…) plutôt que le remplacement ? | 34 % |
Quelle est la durée de vie moyenne de vos copieurs ? | 39 % |
Quel est le poids des critères développement durable / RSE dans la notation des réponses des fournisseurs à vos appels d’offre, consultations, demandes fournisseurs ? | 40% |
Quel est le volume global du stockage de vos données d’entreprise (centralisées sur disques durs externes, serveur centralisé, NAS, SAN..) en Téraoctets (To) utiles ? | 43 % |
Connaissez-vous le PUE* de votre Datacenter ? | 68 % |
*PUE : Power Use Efficiency
La gestion des déchets constitue l’un des sujets sur lesquels le manque de connaissance et d’information des répondants est prégnant :
- les 2/3 des entreprises répondantes déclarent ne pas connaître les quantités des déchets D3E qu’elles produisent
- les ¾ déclarent ne pas connaître la réglementation en matière de traitement des D3E
- 41% déclarent ne pas savoir qui assure la collecte de leurs D3E
- Seul 8% déclarent avoir des éléments sur la traçabilité de leurs D3E, alors que c’est une obligation règlementaire et qu’un document normalisé (le BSD pour Bon de Suivi des Déchets) doit être fourni par le prestataire de collecte
La route est longue, mais le ciel s’éclaircit
Pour paraphraser le slogan de l’association Framasoft[1], le baromètre 2020 de l’AGIT montre qu’en matière de numérique responsable… la route est longue. Pour autant, la notoriété de nouveau importante du numérique responsable depuis 2 ans permet de garder espoir. Après un 1er engouement à la fin des années 2000, puis une relative traversée du désert durant la décennie 2010, on peut dire qu’actuellement le ciel s’éclaircie pour le numérique responsable. On assiste en effet à une inflation des publications sur le sujet et un intérêt de plus en plus marqué des régulateurs. Rien de moins que le Conseil national du numérique, France Stratégie, le Sénat, l’ARCEP, le Ministère de la transition écologique, le Ministère de l’économie et l’ADEME se sont ainsi saisi du sujet récemment. L’évolution de l’environnement institutionnel se traduira forcément par une évolution des pratiques des entreprises.
[1] Slogan de Framasoft : « La route est longue, mais la voie est libre »