En raison du développement croissant des mobilités actives sur l’espace public, les collectivités sont de plus en plus nombreuses à se doter d’un « code de la rue ». Ce document se résume  le plus souvent à un rappel des règles du code de la route, afin d’informer chaque usager de l’espace public de ses droits et devoirs.

Mais est-ce suffisant ? 

Le code de la route ou droit routier est apparu en 1921. C’est l’ensemble des lois et règlements relatifs à l’utilisation des voies publiques (trottoirs, chaussées, autoroutes, etc.) par les personnes se déplaçant à pied, à vélo, à cheval, ou conduisant un attelage, un deux-roues à moteur, une voiture ou un camion.

Le code de la rue est un dispositif de réflexion portant sur des outils d’apaisements de l’espace public urbain, qui a été intégré au code de la route par le décret du 30 juillet 2008. Ce texte porte diverses dispositions comme le principe de prudence, la zone de rencontre et la généralisation du double sens cyclable (pour toutes les rues inférieures à 30 km/h). C’est également un outil d’information et de sensibilisation sur les droits et devoirs des usagers de l’espace public.

Bien que le code de la route soit censé organiser le partage de l’espace public entre tous les usagers de la route, il a surtout depuis sa création encouragé un développement prédominant de l’espace consacré aux véhicules motorisés et favorisé la séparation des usages dans le but de fluidifier la circulation automobile. Depuis plusieurs décennies, un rééquilibrage de l’espace public est en marche dans les agglomérations et remet en question l’organisation des mobilités, jusque dans le code de route.

(in)sécurité routière, des chiffres qui parlent

Les véhicules motorisés, principaux responsables des accidents de la route. En France, en 2023, plus de 3 167 usagers de la route ont été tués, et plus de 235 000 blessés dont 16 000 blessés graves. Ces chiffres ne font pas de différence entre les véhicules motorisés (automobile, poids-lourds, deux roues motorisés), qui représentent la majorité des victimes, et les modes actifs (marche, vélo, engins de déplacements personnels non motorisés). Ces derniers sont plus vulnérables du fait de l’absence de carrosserie, et dans une grande majorité des cas, les accidents graves impliquent un véhicule motorisé.

Un levier majeur de lutte contre les accidents : la diminution globale de la vitesse de circulation, notamment en agglomération. On estime que lors d’un accident de la route entre un piéton et une voiture qui circule à 30 km/h, la probabilité que le piéton soit tué est de 15%. Cette probabilité monte à 85% si la voiture circule à 50 km/h. Ce qui amène à se demander : ne faudrait-il pas repenser de fond en comble le partage de l’espace public et remettre en question la place de la voiture, surtout en agglomération ?

Les violences routières sont de plus en plus fréquentes, mesurées et médiatisées. On se souvient de Paul Varry, jeune militant de l’association Paris en Selle, qui participait à ce mouvement de rééquilibrage de l’espace public en faveur des modes actifs, et qui fut tué par un automobiliste le 15 octobre 2024 alors qu’il circulait à vélo sur une piste cyclable du Boulevard Malesherbes. Les nombreux autres cas de violences routières, relatés par les médias locaux et nationaux comme faits divers, illustrent l’urgence et la nécessité de modifier l’aménagement de l’espace public pour une séparation des usagers sur les voies routières structurantes et un partage apaisé dans le réseau de voies calmes.

Les pouvoirs publics et le public tout entier doivent prendre conscience que le seul code de la route ne suffira pas à protéger les modes actifs, et que pour mettre fin à ces comportements dangereux, des aménagements en agglomération et hors-agglomération doivent être réalisés.

Code de la rue ou code de la route ? Durant des siècles, avant l’apparition de la voiture, la rue était partagée : la marche était le mode de déplacement principal, les voitures à chevaux se faisaient une place, mais de nombreux espaces communs existaient, surtout sur les axes de desserte. Le code de la route a permis de mieux organiser l’espace public face au développement massif de la voiture et des autres modes motorisés, mais cela s’est fait au détriment des modes actifs, en donnant la quasi-exclusivité de la voirie aux véhicules lourds et en contraignant les autres modes à circuler dans les marges (trottoir, bas-côté, ruelles, …). Aujourd’hui, face au regain de popularité des modes actifs, le code de la rue est de nouveau d’actualité, mais seul, il n’a qu’une valeur pédagogique. Par ailleurs, toutes les collectivités qui se dotent de ce document n’ont pas les mêmes standards d’aménagement pour protéger les usagers non motorisés.

La zone de rencontre, un aménagement favorisant le partage de l'espace public

Une zone de rencontre à Die (26). Crédit : BL évolution

Les limites du code de la rue

Les modes actifs, variables d’ajustement dans les aménagements urbains. Le code de la rue en tant qu’outil de rappel du code de la route peut poser des problèmes de compatibilité. Par exemple, le code de la route autorise la circulation des cycles sur toutes les voies sauf les routes à caractère prioritaire et les autoroutes. Or, en agglomération beaucoup de voies sont limitées à 50 km/h avec un volume de trafic parfois très élevé, alors que le CEREMA recommande de limiter le partage de la voirie aux voies à moins de 2000 véhicules par jour et de 30 km/h. Des adaptations de la réglementation sont donc nécessaires pour un meilleur partage de l’espace public.

Des discontinuités piétonnes visibles et handicapantes, héritées du tout-voiture. Depuis 2005, la loi accessibilité demande aux collectivités un effort pour permettre à tous les usagers (notamment aux personnes à mobilité réduite) de se déplacer dans les espaces publics. Peu de trottoirs dans les centres anciens respectent les largeurs réglementaires. La conservation du stationnement automobile est souvent un obstacle majeur qui s’ajoute à la difficulté de transformer ces espaces en un espace commun et apaisé.

Des aménagements cyclables souvent mal pensés, dont le domaine de voirie reste à définir. Aujourd’hui en France, les 3/4 des aménagements cyclables ne sont pas assez sécurisants et nécessitent d’être améliorés ou entièrement repris :  conflits d’usages dus à un partage non adéquat du trottoir, intersections mal pensées, largeurs trop étroites, obstacles, absence de séparateurs physiques avec les véhicules motorisés. Ces difficultés de terrain peuvent générer des incivilités.

Tant que les aménagements cyclables et piétons ne seront pas assez qualitatifs et que l’espace public ne sera pas rééquilibré et mieux hiérarchisé, des conflits perdureront entre les usagers. Les efforts des collectivités à développer un code de la rue qui n’est qu’un guide d’application du code de la route ne suffiront pas à apaiser les usagers et à réduire les problématiques de sécurité.

Solutions et améliorations

Face à ces limites, et pour une application concrète et efficace du code de la rue, quelques pistes d’améliorations efficaces afin de combiner les effets d’apaisement de l’espace public et son partage :

1. Développer un schéma directeur des modes actifs, outil de planification ;

Le schéma directeur des modes actifs est un outil fondamental pour hiérarchiser sa voirie, supprimer le trafic de transit, définir les bons aménagements et programmer à court, moyen et long terme les travaux ou les adaptations d’infrastructures. Cet outil de planification est très utile pour détecter les opportunités, acculturer les services techniques aux aménagements cyclables et programmer les financements des collectivités.

2. Analyser l’expérience des usagers sur l’espace public (piétons, PMR, cyclistes, EDPM) ;

Une mesure objective de l’empreinte des mobilités sur l’espace public est indispensable. Afin de mieux connaître les besoins des usagers et usagères et principalement les modes actifs, il est nécessaire d’observer les usages, de questionner les incivilités et de comprendre comment elles peuvent être adressées autrement que par de simples amendes (manque de continuité, dangerosité d’un carrefour etc.).

3. Organiser des concertations afin de déterminer les points noirs et éléments clés à régler ;

L’analyse de l’expérience cyclable et piétonne doit aussi s’appuyer sur de la concertation (ateliers de travail, boites à idées, etc.) qui viendra nourrir et enrichir les projets et augmenter leur impact.

4. S’inspirer des villes ayant répondu aux incivilités avec des actions concrètes.

La ville de Nantes a pu créer son code de la rue en plusieurs parties : une partie pédagogique basée sur le code de la route et une partie comprenant des actions concrètes d’aménagements des rues en faveur des piétons, des pistes cyclables sur les axes routiers principaux, un travail du plan de circulation pour éviter le trafic de transit dans certains quartiers de la capitale. Tout ce travail a été co-construit avec les habitants, en tenant compte du fait que la ville ne disposait pas des infrastructures qualitatives nécessaires afin de lutter contre les incivilités.

Le code de la rue pourrait présenter une formidable opportunité pour questionner le code de la route tel qu’il existe et transformer nos villes. Cependant, tant que les modes non motorisés seront obligés de s’adapter à la voirie, les conflits et les accidents perdureront. Alors que le retour du vélo en ville provoque des réactions acerbes, ses opposants l’accusant d’être la cause de nombreux accidents, la majorité des accidents mortels de la route impliquent un automobiliste. Ce constat à lui seul devrait pousser les pouvoirs publics à protéger les plus vulnérables en adoptant des politiques publiques beaucoup plus volontaristes sur l’apaisement des villes et villages.

Pour aller plus loin sur ce sujet, vous pouvez retrouver le webinaire animé par BL évolution le 9 octobre 2024 avec l’association AGIR transport : https://www.agir-transport.org/replays/code-de-la-rue