Le 1er juin 2023, le Parlement européen a adopté la proposition de Corporate Sustainability Due Diligence Directive (dite CS3D), une directive européenne visant à renforcer le devoir de vigilance des entreprises à l’égard du respect des droits humains et de la protection de l’environnement. L’objectif de cette directive est de favoriser un comportement durable et responsable des entreprises, et d’ancrer les considérations liées aux droits de l’homme et à l’environnement dans leurs activités et leur gouvernance, sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, en Europe et en dehors de l’Europe.
Processus d’adoption, seuils d’application, ou encore impact pour les entreprises, BL évolution vous propose de faire le point sur cette nouvelle directive.
Du Rana Plaza au Parlement Européen
La réflexion sur la mise en place d’un “devoir de vigilance” voit sa source en 2013, avec l’effondrement du Rana Plaza, un immeuble abritant des ateliers de confection textile au Bangladesh, causant la mort de 1 135 ouvriers et ouvrières. Cet événement révèle alors au grand jour les conditions de travail extrêmes et les droits humains bafoués dans cette usine et de nombreuses autres similaires, où l’on trouve une production de masse délocalisée et sous-traitée à moindre coût, symptôme de la mondialisation. Les multinationales occidentales, pourtant donneuses d’ordres, ne seront cependant jamais inquiétées suite à cette catastrophe, faute de l’existence de textes reconnaissant aux entreprises une responsabilité vis-à-vis de leurs sous-traitants.
La France fut le premier pays de l’Union Européenne à considérer le sujet, en imposant, dès 2017, un devoir de vigilance couvrant les aspects sociaux et environnementaux.
C’est en s’inspirant de la réglementation française qu’un texte a été élaboré au niveau européen. La proposition de directive visant à imposer une obligation de vigilance en matière d’atteintes aux droits humains et à l’environnement au sein de l’Europe a ainsi été adoptée le 23 février 2022, par la Commission Européenne.
Examinée en plénière par le Parlement européen au mois de mai, la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CS3D), plus ambitieuse que le texte initial, a finalement été votée le 1er juin 2023.
Quelques points clés à retenir
1. Un cadre plus contraignant que la réglementation française
Le texte européen couvre toute la chaîne de valeur, comprenant l’ensemble du cycle de vie des produits, de la conception à la gestion de la fin de vie, que ce soit au niveau de l’entreprise elle-même, de ses filiales ou de ses sous-traitants. La gestion des déchets par les particuliers en est toutefois exclue, car elle est considérée comme étant hors périmètre de l’entreprise.
Concrètement, le texte stipule que les entreprises doivent recenser et évaluer les conséquences négatives réelles et potentielles de leurs activités, et de celles de leur chaîne de valeur, sur les droits humains et sur l’environnement. Ces incidences négatives devront être prévenues et les entreprises devront définir et mettre en œuvre un plan d’action visant à les supprimer ou, a minima, à les réduire au maximum.
Le texte de la CS3D précise qu’il s’agît notamment de prendre en compte le travail des enfants, l’esclavage, le travail forcé, la traite d’êtres humains, la dégradation de l’environnement, la déforestation et la perte de biodiversité. Le texte européen est donc beaucoup plus précis que le texte français, qui ne mentionnait que de façon générale “les droits humains, les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement”.
Les entreprises devront par ailleurs définir des mécanismes de traitement des remontées d’alertes par les parties prenantes concernées.
Enfin, l’ensemble des informations liées au devoir de vigilance des entreprises devront être rendues publiques.
2. Des seuils d’application qui couvrent un grand nombre d’entreprises
Sous la houlette de l’euro-députée néerlandaise Laura Walters, le Parlement a notamment étendu le champ d’application de la Directive en abaissant les seuils d’assujettissement (en salariés et chiffre d’affaires) par rapport à ce qui était prévu dans le texte initial.
Les entreprises devant se conformer au devoir de vigilance sont celles remplissant les critères suivants :
3. Un texte novateur en matière de sanctions
Contrairement à ce qui est indiqué dans la réglementation française, l’ensemble des entreprises concernées encourent des sanctions en cas de non-respect du devoir de vigilance. En effet, le texte prévoit que les victimes d’atteintes aux droits humains / violations des droits humains ou à l’environnement auront droit au recours et à réparation. Le texte indique en effet les possibles sanctions suivantes :
- Des amendes jusqu’à 5% du chiffre d’affaires mondial ;
- Le retrait des produits de l’entreprise d’un marché ;
- Une dénonciation publique ;
- Une exclusion des marchés publics européens pour les entreprises non européennes.
Tout ceci vise à rendre les entreprises responsables juridiquement en cas de manquements à leurs obligations.
Un renforcement par rapport aux devoirs de vigilance existants
Avant la prise en charge du sujet par la Commission Européenne, plusieurs pays de l’espace européen avaient déjà instauré à leur échelle un devoir de vigilance plus ou moins contraignant.
Il est à noter que la directive européenne se distingue notamment de la loi française en incluant un plan de transition pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C et en impliquant la responsabilité des administrateurs. En effet, l’article 25 du texte stipule que les administrateurs “tiennent compte des conséquences de leurs décisions sur les questions de durabilité, y compris, le cas échéant, sur les droits de l’homme, le changement climatique et l’environnement, y compris à court, moyen et long terme.”
Quelles sont les prochaines étapes ?
Il reste encore du chemin à parcourir avant l’application effective du texte par les pays de l’Union, car la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Europe ne partagent pas les mêmes positions. La version adoptée par le Parlement européen est en effet une version relativement ambitieuse, que le Conseil de l’Europe souhaite restreindre en excluant du champ d’application de la directive les entreprises du secteur financier et les relations commerciales indirectes.
Le vote final de la directive devrait avoir lieu avant la fin de l’année 2023. Les États membres auront alors encore deux ans pour la retranscrire dans leur droit local.
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