Comment les collectivités peuvent maîtriser l’impact environnemental de leur système d’information ? C’est tout l’objet du décret n° 2022-1084 adopté le 29 juillet 2022 relatif à l’élaboration d’une stratégie numérique responsable. Il concerne les communes et EPCI de plus de 50 000 habitants.
Ce décret s’inscrit dans le cadre plus global de la loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France (loi REEN). Il vient préciser le contenu de la stratégie numérique responsable qui devra, au plus tard le 1er janvier 2025, être présent dans le rapport annuel sur la situation en matière de développement durable de la collectivité.
Pour mieux comprendre les enjeux de ce décret, nous vous proposons un rapide panorama sur l’impact environnemental du numérique.
Pourquoi une loi sur l’empreinte environnementale du numérique ?
Le numérique est responsable de 3 à 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ce secteur est en forte croissance, +8% par an. Il pourrait atteindre le niveau d’émission du parc de voitures et de deux roues d’ici 2025. En France, une étude ADEME-ARCEP le situe à 2,5% de l’empreinte carbone nationale.
La croissance du numérique s’explique par :
- une hausse continue du nombre d’équipements : 2,4 terminaux connectés par personne dans le monde en moyenne en 2017, 3,6 en 2022.
- une très forte hausse des usages : on estime ainsi aujourd’hui que la croissance du trafic de données sur les réseaux est de +26% par an et celle des centres de données de +35% par an. Cela équivaut à un doublement tous les 3 ans.
Les réflexions s’accélèrent parmi les acteurs de l’écosystème du numérique afin de proposer un numérique plus sobre, inclusif et éthique .
Dans ce contexte, il est indispensable pour les organisations publiques et privées d’évaluer l’empreinte carbone de leur Système d’Information.
Concrètement, que dit le décret ?
Le décret distingue deux documents à élaborer par les collectivités :
- Le « programme de travail ». Ce premier document constitue un bilan de l’impact environnemental du système d’information du territoire concerné. Le cas échéant, il doit regrouper les actions déjà mises en place afin de limiter cet impact.
- Le « bilan annuel de la stratégie numérique responsable ». Ce deuxième document, plus complet, a pour objectif d’expliciter la feuille de route du territoire concerné. Il s’appuie logiquement sur l’étude menée dans le programme de travail, et doit contenir plusieurs éléments.
- Les objectifs de réduction de l’empreinte numérique du territoire concerné.
- Les indicateurs de suivi associés à ces objectifs (tCO2e, m3 d’eau, nombre d’équipements par utilisateur…).
- Les mesures mises en place pour atteindre ces objectifs, et les moyens d’y satisfaire (financiers, humains…).
Quelles sont les pistes d’action ?
Le décret esquisse quelques pistes d’actions générales permettant de structurer la démarche au sein des organisations. Celles-ci sont regroupables en trois catégories :
– Les mesures de sobriété
o La commande publique locale et durable, dans une démarche de réemploi, de réparation et de lutte contre l’obsolescence
o La gestion durable et de proximité du cycle de vie du matériel informatique
o L’écoconception des sites et des services numériques
– Les mesures de sensibilisation aux usages du numérique
o La mise en place d’une politique de sensibilisation au numérique responsable et à la sécurité informatique à destination des élus et agents publics
o La mise en place d’une démarche numérique responsable auprès de tous afin de sensibiliser les citoyens aux enjeux environnementaux du numérique et de l’inclusion numérique
– L’élargissement aux impacts sociaux et sociétaux
o La mise en place d’une démarche de territoire connecté et durable en lien avec une démarche d’ouverture et de valorisation des données.
Quels sont les facteurs de réussite ?
Ce programme de travail peut prendre la forme d’un bilan carbone ou d’une analyse multicritère du système d’information, prenant en compte le cycle de vie de l’ensemble des équipements sur le périmètre d’un système d’information complet (datacenter / cloud, réseaux, terminaux utilisateurs). L’impact du numérique n’est pas uniquement lié aux émissions de gaz à effet de serre, d’autres indicateurs environnementaux tels que l’utilisation des ressources abiotiques, des ressources en eau ou l’utilisation d’énergie primaire sont tout aussi pertinents.
Les objectifs de réduction doivent être ambitieux, et compatibles avec les objectifs nationaux (SNBC) et scientifiques (objectifs dits “Science-Based Targets”, comme le propose l’initiative SBTi ayant publié récemment un guide pour le secteur numérique « SBTi Guidance Information and Communication Technology (ICT)« ).
La fabrication des équipements concentre en France environ 80% des émissions de gaz à effet de serre du numérique. Leur renouvellement frénétique en fait donc le premier facteur d’augmentation de l’impact environnemental du numérique. Il est important de prendre en compte cette réalité afin de maximiser l’impact lors de la réalisation du plan d’action.
Concernant la mise en place d’une démarche de territoire connecté et durable en lien avec une démarche d’ouverture et de valorisation des données : Ces deux dimensions du territoire, connecté et durable selon les termes du décret, montrent qu’inclusivité et respect des limites planétaires doivent bien se mêler au sein d’une même stratégie. Le programme de travail doit notamment permettre d’expliciter les impacts environnementaux des différents projets de renforcement du maillage des infrastructures territoriales.
La sensibilisation et la formation sont des éléments essentiels dans le déploiement d’une stratégie numérique responsable. Elles permettent de faire comprendre aux acteurs l’ensemble des co-bénéfices de la mise en place d’une telle démarche.
Enfin, le numérique responsable ne se résume pas à l’impact environnemental. Il prend également en compte les enjeux sociaux, sociétaux et éthiques du numérique. La prise en compte de ces aspects permet à la fois d’être plus efficace dans sa démarche mais également de prévenir des « fausses bonnes idées » telles que la numérisation de certains services, excluant de fait des populations peu à l’aise avec les technologies numériques.