Les forêts sont au cœur d’une stratégie nationale de la transition écologique qui fait écho à plusieurs politiques publiques (LTECV, SNBC, Programme national de la forêt et du bois ou encore le Plan Biodiversité) qui constituent un cadre structurant pour les orientations du secteur. Une interface d’enjeux qui place l’écosystème forestier comme un élément clef de la transition. Les écosystèmes forestiers rendent de nombreux services : fournitures, espaces récréatifs, refuges de biodiversité, stockage du carbone…

Le développement d’une filière à haute performance environnementale apparaît comme une nécessité, à laquelle l’ADEME s’engage en soutenant des filières et des pratiques durables en phase avec les objectifs de transition énergétique et écologique. C’est notamment en accompagnant le secteur via un soutien fort dans le bois-énergie qui entre dans le cadre du Fonds Chaleur, que ce guide « Enjeux et bonnes pratiques : Focus sur la préservation des sols » a été élaboré collectivement, avec des représentants des professionnels forestiers et des filières bois, du monde académique ou des associations environnementales. Un véritable outil d’aide à la décision opérationnel et des bonnes pratiques qui seront décryptés dans cet article.

La forêt : un rôle multifonctionnel à préserver

La forêt représente un enjeu stratégique majeur, un point de contact pluriel tant dans la lutte contre le changement climatique que dans l’adaptation, mais aussi dans la préservation de la biodiversité et des cohérences écosystémiques d’un territoire.

La forêt, et plus précisément la ressource en bois est aussi un pilier fondamental de la transition énergétique, le bois fait partie du mix énergétique de production de chaleur à exploiter pour sortir des énergies fossiles.  Il s’agit de la première énergie renouvelable en France qui continue de monter en puissance. Aujourd’hui la consommation primaire de biomasse solide pour produire de l’énergie (principalement de la chaleur) représente 121 TWh, soit 36% des énergies renouvelables produites en France (ou 4% de la consommation d’énergie primaire totale (Source MTE)).

Une évolution des pratiques

La production de plaquettes forestières (bois déchiqueté sous forme de petits morceaux homogènes) fait partie du système de bois de chauffage qui se développe. Le premier avantage de ce combustible provient du fait qu’il est issu des résidus de l’entretien, de l’exploitation forestière, des haies ou encore des espaces non forestiers. Il s’agit donc d’une ressource particulièrement disponible et surtout exploitable et d’une valorisation des coproduits de l’exploitation forestière.

Alors que le volume du bois bûche prélevé diminue, la récolte commercialisée pour la production de plaquette progresse nettement avec 2,7 millions de m3 prélevé en 2019, soit un triplement des prélèvements ces dix dernières années. Les plaquettes représentent aujourd’hui 10% des prélèvements de bois énergie, alors que le bois-bûche reste 85% des volumes combustibles prélevés (bilan 2018).

En pratique, les méthodes de récoltes classiques évoluent, en prélevant maintenant le menu bois (branches de diamètres inférieures à 7cm) et d’autres résidus d’exploitation qui étaient jusque-là laissés en forêt. Les coupes d’éclaircies, d’ouverture de cloisonnements ou de taillis de faible valeur économique fournissent la part la plus importante de la cette biomasse. 83,5% de la biomasse mobilisée pour les plaquettes proviennent d’arbres ou de cimes et houppiers entiers.

Les enjeux d’une filière à haute performance environnementale

Les tendances actuelles dans l’exploitation sylvicole s’orientent sur une mécanisation et une simplification des pratiques. Une mécanisation qui se modernise et qui permet des chantiers simplifiés et peu coûteux (comme avec l’utilisation d’abatteuse-groupeuse (« feller-buncher ») permettant facilement la coupe et le débardage d’arbres entiers). Et c’est notamment le cas pour la coupe de bois d’œuvre ou d’industrie qui génèrent des coproduits utilisés pour la production de plaquette.

S’ajoute à cela un manque certain de main d’œuvre sur le territoire français, les machines qui permettent d’abattre, débrancher et de billonner les arbres se développent sur les chantiers.

Face à ces nouvelles pratiques et à la modernisation, plusieurs enjeux sont mis en lumière :

1.     Les pratiques de récolte et préservation des écosystèmes forestiers

Des pratiques non durables ont un impact sur le fonctionnement des écosystèmes et les services environnementaux et sociétaux indispensables qu’ils fournissent. Ces pratiques peuvent à terme générer des effets sur la croissance, la régénération des forêts et donc sur l’ensemble de la filière. Les intervenants forestiers ont un rôle clé à jouer pour concilier ces différents enjeux économiques, patrimoniaux et sociaux avec la préservation de la qualité des écosystèmes.

2.     Fertilité chimique des sols, pérenniser le cycle naturel des nutriments

La teneur en éléments nutritifs provient entre autres de la décomposition des racines branches et feuilles mortes. Une gestion durable repose sur la préservation de la boucle de recyclage des nutriments qui implique donc une réflexion sur les prélèvements du menu bois. Perturber ce cycle peut avoir des conséquences significatives sur la fertilité et particulièrement sur les sols les plus pauvres.

3.     Préserver la biodiversité

Le bon fonctionnement des écosystèmes dépend d’une grande variété des formes de vie dans une forêt. Que ce soient les animaux, les végétaux ou même les microorganismes, ils constituent tous des éléments clés pour un écosystème fonctionnel. Et c’est dans toutes les composantes du sol aux arbres, vivants ou morts, qu’ils nichent. Et les bois morts, véritables pièces vitales, sont gages de richesse de la biodiversité forestière. Quant aux menu bois, ils forment des refuges abritant des espèces spécifiques d’insectes, des amphibiens, reptiles et autres oiseaux. Le prélèvement des menus bois, des bois morts et même des souches peut affecter profondément la diversité biologique de l’écosystème et son fonctionnement.

4.     Conserver l’intégrité physique des sols

L’aération du sol pérennise sa fertilité et l’activité biologique qu’il héberge. Or, la mécanisation engendre un risque de tassement plus ou moins intense sur les sols. Dès les premiers passages, les tassements modifient l’intégrité physique du sol et réduit leur fertilité. C’est pourquoi la circulation des engins doit être concentrée sur les cloisonnements (voies de circulation en forêt). Les risques de tassement des sols sont impérativement à prendre en considération lors de l’organisation des chantiers, d’autant que les dégâts sont peu réversibles.

 

Les outils pour agir

Quels sont les outils pour agir ? Deux séquences sont essentielles :

  1. Réaliser un diagnostic pour enrichir les connaissances et organiser l’action
  2. Des bonnes pratiques à mettre en place

Le diagnostic

Étape cruciale pour améliorer la connaissance et s’organiser en conséquence. Réaliser un diagnostic est essentiel car il y a peu de situations où les risques potentiels d’impacts sur les sols et la biodiversité sont faibles.

Les diagnostics à envisager :

  • Mesurer la sensibilité chimique du sol à l’export de menus bois : les éléments très concentrés en éléments minéraux des menus bois peuvent parfois réduire de manière très significative la fertilité chimique des sols. Évaluer en amont cette sensibilité va permettre de la préserver et d’adapter les modalités de récoltes. L’indicateur de sensibilité à l’export d’éléments nutritifs permet d’estimer la sensibilité du sol par élément : calcium, magnésium, potassium, phosphore et azote. Le diagnostic s’appuie sur 5 critères (le type d’humus, la texture, l’effervescence, la région écologique, l’enracinement) et permettra d’indiquer la sensibilité à court et long terme, pour adapter les modalités de récoltes.
  • Évaluer la sensibilité des sols au tassement et à l’érosion : une étape essentielle pour organiser la phase chantier et la circulation des engins. Un sol tassé ou érodé perd en fertilité. Le diagnostic s’appuie sur des éléments immuables que sont la texture et le pourcentage d’éléments grossiers dans le sol ainsi que l’humidité.
  • Évaluer les enjeux pour la biodiversité : pour concilier les fonctions écologiques, économiques et sociales de la forêt. Deux informations sont à recueillir dans la réalisation de ce diagnostic, l’existence d’un statut réglementaire et le repérage d’éléments supports de diversité biologique. 23% des surfaces forestières françaises font l’objet d’un statut dédié à la protection de la biodiversité. Ensuite le diagnostic écologique est fortement recommandé (statut de protection présent ou non) en portant l’objectif de repérer les zones sensibles les plus riches à préserver (pièces de bois morts, arbres porteurs d’habitats, zones humides).

Les bonnes pratiques pour une récolte durable

Les bonnes pratiques sont des éléments à prendre systématiquement en compte pour agir en faveur d’une récolte durable dans la production de plaquettes forestières

Bonne pratique 1 : éviter l’exportation de feuillage

La fertilité des sols forestiers est fortement dépendante de la décomposition des éléments de bois et principalement des feuilles. L’objectif tient donc en une phrase : conserver un maximum de feuillage sur la parcelle !

C’est notamment par la prévision d’un temps de ressuyage suffisant. En effet, laisser l’arbre sécher pendant une certaine durée (en moyenne trois mois préconisés) sur la parcelle va permettre de faciliter la chute des feuilles pour les conserver sur les parcelles. Pour parvenir à l’objectif de faible exportation du feuillage, la concertation entre acteurs (gestionnaires, entrepreneurs, acheteurs…) est le meilleur moyen d’assurer une bonne articulation des chantiers de coupe et de débardage en privilégiant un temps de ressuyage suffisant.

Bonne pratique 2 : Raisonner la récolte des menus bois

Le prélèvement du menus bois peut avoir de très fortes conséquences sur la biodiversité et la fertilité du sol. La prise en compte de ces impacts est indispensable.

C’est principalement sur les sols les plus pauvres en nutriments et les zones à forts enjeux de biodiversité qu’il faut renoncer aux prélèvements de menus bois. Adapter les pratiques aux enjeux de fertilité et de biodiversité est une mesure à bien tenir compte dans ces questions de gestion. D’autres mesures peuvent être envisagées, comme espacer les prélèvements de menus bois de quinze à trente ans selon la sensibilité du sol ou encore laisser une part des menus bois sur les parcelles.

Bonne pratique 3 : Raisonner la récolte des souches

Importantes pour la biodiversité, la fertilité des sols et la séquestration de carbone dans le bois mort, les souches représentent un volume de biomasse à préserver.

Le maintien d’une souche sur dix au minimum sur la parcelle est recommandé pour servir de refuge pour la biodiversité. Les souches laissées sur place peuvent être choisies en fonction de leur emplacement : privilégier le maintien des souches sur les zones ne compliquant pas les travaux de reboisement, par exemple autour d’îlots de feuillus ou de vieux bois, en bord de fossés ou de cours d’eau.

Bonne pratique 4 : éviter le tassement et l’érosion des sols

La rationalisation des chantiers et l’organisation de la circulation des engins sont indispensables pour conserver une bonne productivité de la forêt, quel que soit le chantier de récolte.

En portant une réflexion sur la circulation des engins, on limite la création de tassement, phénomène peu réversible et pénalisant pour le sol. Une réflexion en amont sur l’aménagement de la parcelle doit tenir compte de ces besoins de circulation. Cela passe aussi par une organisation ordonnée autour de la question de l’humidité en phase de chantier. Et enfin il est préconisé d’envisager des systèmes de débardage alternatifs des grumes lorsque c’est possible. « Respecter les sols demande de la rigueur dans la gestion des chantiers ».

Bonne pratique 5 : Préserver les habitats naturels, les zones humides et les cours d’eau

Pour tous les chantiers, préserver les habitats naturels et prendre en compte le rôle des espèces forestières est une recommandation à suivre systématiquement.

Parmi les mesures opérationnelles, il est nécessaire de laisser autant que possible une bande végétale de 5 mètres minimum non empruntée par les engins le long des cours d’eau, d’éviter de circuler à moins de 10 mètres des zones humides ainsi que de conserver les arbres fruitiers, les bois morts et tous les supports de biodiversité.

Une surexploitation non sans conséquence…

Le prélèvement des plaquettes est un sujet particulièrement intéressant pour la transition écologique, et notamment énergétique. C’est aussi un bon moyen d’utiliser un résidu de la forêt, en complément des prélèvements de bois d’œuvre. Mais cela nécessite une réflexion importante, car ces résidus ont aussi une utilité complémentaire dans les écosystèmes forestiers.

Que ce soit pour garantir une bonne fertilité du sol ou encore pour la biodiversité, la surexploitation de ces menus bois ne serait pas sans conséquence. L’ADEME produit un cahier technique complet, en mettant en avant le besoin de diagnostiquer et en proposant des bonnes pratiques, qui apportera une réponse aux enjeux économiques, environnementaux et sociétaux des forêts et de leur gestion.