Depuis quelques années, les régions et départements français s’intéressent au vélo sous l’angle cyclo-touristique. En effet, un touriste à vélo dépense en moyenne 70 € / jour, ce qui représente un enjeu conséquent de développement économique et de redynamisation des territoires ruraux. La véloroute de la Loire à vélo (1,2 million de passages de cyclistes ont été enregistrés en 2019) constitue l’exemple même d’un itinéraire cyclable attirant des cyclistes pour de courtes ou de longues distances. La réussite de la Loire à Vélo ou d’autres itinéraires cyclotouristiques inspire les régions et les départements à se lancer dans l’élaboration de véloroutes et voies vertes.
Après une dynamique croissante du vélo touristique, le vélo comme moyen de transport est en plein boom depuis quelques années. La crise de la COVID a fait exploser les compteurs de fréquentation des aménagements cyclables en zone urbaine (+30%), zone péri-urbaine (+42%) et zone rurale (+38%) entre 2019 et 2021. Cette évolution croissante indique bel et bien un réel engouement de la population française à se déplacer autrement peu importe la zone géographique. Face à la forte demande des citoyens de se déplacer en toute sécurité, certaines régions et certains départements présentent une réelle volonté de développer les infrastructures pour des déplacements du quotidien par la création de schémas cyclables utilitaires.
Avant d’aborder les enjeux politiques des élections régionales et départementales par rapport au vélo, il est important de faire un état des lieux des parts modales de déplacements à vélo dans les trajets domicile-travail. Rappelons d’abord que la part modale du vélo dans l’ensemble du territoire français est de 2,1 % en 2017 d’après l’INSEE. Ces chiffres font apparaître des disparités importantes suivant les territoires.
Bilan des politiques cyclables de ces dernières années au regard de la part modale vélo
Dans les régions, les parts modales sont relativement peu disparates. La taille des régions permet en effet de lisser les parts modales sur ces territoires. Néanmoins, certaines régions se rapprochent des 3% de part modale et apparaissent en avance sur les chiffres nationaux : les Pays de la Loire, le Grand Est, l’Auvergne-Rhône-Alpes et l’Occitanie. D’autres régions sont plutôt dans la moyenne : la Nouvelle-Aquitaine, le Centre-Val-de-Loire l’Île-de-France, la Bretagne, la Bourgogne-Franche-Comté ou encore les Hauts-de-France. Les régions Normandie et Provence-Alpes-Côte-d’Azur sont plutôt en fin de classement et la Corse constitue la région à la plus faible part modale de la métropole.
Dans les départements, les différences de part modale vélo sont bien plus nettes. Les départements qui ont la part modale la plus forte le doivent dans tous les cas à la présence d’une métropole importante (Paris, Strasbourg, Bordeaux, Toulouse et Lyon). La Guyane a aussi une part modale très forte (5%) qui s’explique notamment par un déplacement massif des scolaires à vélo. Les Bouches-du-Rhône font figure d’exception avec une part modale très faible malgré la présence de la Métropole d’Aix-Marseille.
Au-delà de l’analyse des résultats de part modale dans chaque région ou département, il est possible de détecter l’ambition cyclable de ces territoires au regard de leur adhésion à l’association Vélo & Territoires. Cette association a pour vocation de mobiliser les acteurs pour partager les bonnes pratiques. Toutes les régions françaises sauf la Corse, l’Occitanie et les Hauts-de-France y adhèrent. Plus de 66 départements sont aussi membres, et la plupart des départements non-adhérents sont plutôt ruraux et situés au centre de la France. Certains départements ayant une densité d’habitants très forte sont absents de l’association : le Val-d’Oise, le Val-de-Marne, le Morbihan ou encore le Rhône (la situation du Rhône est néanmoins particulière car la Métropole de Lyon, adhérente à Vélo & Territoires, a fusionné avec une partie du département).
Vélo & Territoires et la FUB ont d’ailleurs lancé une campagne de communication pour les élections régionales et départementales Parlons Vélo ! (parlons-velo.fr) permettant de visualiser les engagements des différents partis ou alliances sur le vélo et d’illustrer quelques initiatives pro-vélo lors de la mandature actuelle.
Enjeux politiques des élections au regard du vélo
Après avoir présenté un bilan des résultats des politiques cyclables au regard de la part modale vélo, il convient de détailler les moyens des départements et régions pour développer la pratique du vélo.
Les régionales
Les régions peuvent mettre en place un schéma régional des véloroutes. Ces schémas doivent prendre en compte le Schéma national des véloroutes récemment mis à jour en 2020 par le ministère de la Transition écologique. Les schémas régionaux prévoient environ 37 000 km d’itinéraires cyclables, dont 26 000 km d’itinéraires nationaux, qui sont réalisés à 64 %. Ces schémas sont plus ou moins ambitieux selon les territoires, et selon leur date d’élaboration. Le schéma de la région Nouvelle-Aquitaine de 2020 compte ainsi parmi les plus ambitieux avec un réseau de véloroutes très dense de plus de 7 000 km pour 4 500 km d’itinéraires nationaux. A titre de comparaison, la région Auvergne-Rhône-Alpes ne prévoit que 2 700 km de voies vertes dont la quasi-totalité est prévue au Schéma national. (Toutes proportions gardées car la Nouvelle-Aquitaine fait 84 000 km2 quand l’Auvergne-Rhône-Alpes en fait 69 000 km2)
Les régions peuvent donc utiliser ces Schémas régionaux, qui ouvriront droit à subvention aux collectivités en charge des travaux, pour développer considérablement le réseau cyclable. En effet, la région ne peut aménager elle-même ces itinéraires, elle ne peut qu’organiser et planifier le développement de ces voies vertes qui devront être réalisées par la collectivité (département, commune ou EPCI) ayant en charge la voirie sur le tronçon prévu. Enfin, ces schémas n’ont le plus souvent qu’une vision très touristique du vélo, sans prise en compte des déplacements du quotidien.
Néanmoins, les schémas vélos des régions Nouvelle-Aquitaine, Hauts-de-France et Île-de-France sont clairement axés sur les déplacements du quotidien. Ces schémas récents démontrent une évolution importante dans le rôle des régions : cantonnées d’abord à décliner le Schéma national, elles ont récemment adopté des schémas vélos axés sur le développement du vélo utilitaire. Ce changement est d’ailleurs appelé par les voeux de la campagne menée par l’AF3V (l’association française pour le développement des voies vertes et véloroutes) qui présente les voies vertes comme des voies pour le “vélotaff”.
Le réseau vélo régional le plus emblématique du développement du vélo du quotidien est certainement celui de la région Île-de-France. Ce réseau de 680 km a d’abord été porté par le Collectif vélo Île-de-France, qui regroupe l’ensemble des associations cyclistes franciliennes, et est depuis repris par la région. Il va mobiliser 300 millions d’euros de crédits régionaux pour subventionner les collectivités réalisant les travaux – principalement les départements – de 50 à 60 % et jusqu’à 600 000 € du kilomètre. Ce “réseau express vélo” permet de garantir la continuité des aménagements d’un département à un autre en réduisant les différences d’aménagement ou de jalonnement ; il vise à faciliter le déplacement des cyclistes.
Ce projet constitue un modèle pour d’autres associations vélos qui se sont aussi constituées en collectif (ex : Collectif Bicyclette Bretagne et Collectif Vélo Pays de la Loire) et qui souhaitent le développement d’un réseau cyclable régional ambitieux pour les déplacements utilitaires
Enfin, il ne faudrait pas oublier que les régions ont une compétence ferroviaire depuis 2002. A ce titre, en tant qu’autorité organisatrice de la mobilité, elles participent, avec Gares et Connexions, à l’aménagement et le fonctionnement des pôles d’échanges. Elles ont donc un rôle important dans le développement de l’intermodalité rail ou bus avec le vélo. Par ailleurs, elles ont la charge de l’achat des matériels de transports ferrés et à ce titre peuvent avoir un cahier des charges sur l’accessibilité du train à vélo. La région Centre-Val de Loire est à la pointe dans ce domaine car elle met en place en période estivale des compartiments vélos très capacitaires dans les rames pour les cyclotouristes de la Loire à Vélo. Elle a aussi prévu 27 emplacements vélo dans les nouvelles rames OMNEO.
De manière générale, les régions sont plutôt en retard sur la problématique de l’intermodalité et une nouvelle étude ADEME / Vélo & Territoires devrait proposer des solutions pour améliorer la situation ces prochaines années. Enfin, les régions peuvent aussi mettre en place des systèmes de vélos à la location. La région Île-de-France propose ainsi un service Véligo destiné aux franciliens qui souhaitent tester pendant 6 mois renouvelable une fois le vélo à assistance électrique. Ce service s’est récemment étendu aux vélos cargos, triporteurs et longtails.
Les régions disposent donc de moyens considérables pour développer les aménagements cyclables, l’intermodalité en gare et l’offre de services. L’exercice de ces compétences relève pour certaines d’obligations légales ou réglementaires mais la plupart sont des choix politiques assumés de développement du vélo.
Les départementales
Le réseau routier départemental constitue une opportunité pour le vélo afin d’y aménager des itinéraires cyclables sécurisés sur des axes aujourd’hui dangereux. Le département a une compétence voirie sur les voiries départementales et peut être maître-d’ouvrage dans la réalisation d’itinéraires cyclables structurants. Souvent, son intervention se limite à l’extérieur du périmètre des panneaux d’entrée / sortie de ville et la commune conserve la maîtrise d’ouvrage sur l’intérieur de son périmètre. Les départements disposent du matériel et des connaissances nécessaires à l’élaboration ou à la modification des infrastructures routières, ce qui peut là encore permettre une exécution rapide et de meilleure qualité des cheminements cyclables.
La création de voies vertes est quant à elle le plus souvent du ressort des départements. Là encore, il y a plusieurs avantages à cela dont une rapidité d’exécution de réhabilitation des délaissés ferroviaires et de la rénovation des ouvrages d’art gérée par une seule entité mais aussi une homogénéisation du jalonnement, la sécurisation des traversées de voies départementales et la connexion avec d’autres pistes cyclables structurantes. L’acquisition de délaissés ferroviaires et leur transformation en voie verte peut permettre le retour du chemin de fer si besoin. Les canaux constituent une autre possibilité de circulation des vélos très demandée où le département peut agir. Grâce à des conventions signées avec VNF (voies navigables de France), cela peut être l’occasion de consolider les digues parfois fragiles et de créer des itinéraires cyclables structurants favorables aux déplacements à la fois touristiques et quotidiens. L’accès aux voies vertes, canaux et véloroutes par les cyclistes depuis 10 ans a entraîné de nouvelles habitudes de transport du quotidien. En effet, les départements cherchent aujourd’hui à adapter leurs itinéraires touristiques à des déplacements du quotidien afin de les rendre plus confortables. Cela passe notamment par une modification du revêtement au profit d’un enrobé, une sécurisation des carrefours et des accès.
Aujourd’hui, les connaissances techniques sur le vélo sont très hétérogènes entre les différents territoires, ce qui explique une qualité de réalisation des aménagements cyclables souvent très variable et entraîne des conforts d’usages et reports modaux tout aussi variables. Par ailleurs, les départements peuvent bénéficier du programme AVELO2 de l’ADEME qui leur permet de financer la création d’un schéma directeur cyclable départemental. Certains d’entre eux ont dégagé d’importantes capacités financières pour réaliser ces aménagements. Par exemple, l’Ille-et-Vilaine prévoit d’investir 70 millions d’euros sur 5 ans pour développer des itinéraires du quotidien. La Seine-Saint-Denis a budgété 150 millions d’euros entre 2019-2025 pour la réalisation de son plan 100% cyclable.
Enfin, les départements peuvent aujourd’hui assister les collectivités locales dans l’élaboration d’axes structurants par une aide financière mais aussi technique ou opérationnelle. Cela permet de faire face aux problématiques de coûts et de gestion que peuvent rencontrer les communes et les EPCI dans l’élaboration de projets d’itinéraires cyclables. Certains départements vont encore plus loin et expérimentent des services mutualisés avec les collectivités locales (services de location de vélo, aides à l’achat…).
Régions et départements, une synergie indispensable ?
Les régions et les départements ont des compétences assez différentes et les moyens de développement du vélo sont relativement distincts. La synergie de ces deux territoires est donc indispensable pour créer un écosystème favorable au développement du vélo. Pour prendre un exemple, le développement de l’intermodalité en gare dépend à la fois de la construction d’abris et de services en gare dont la région a la charge et de l’aménagement d’itinéraires cyclables sécurisés, particulièrement sur les routes départementales. Enfin, les synergies peuvent aussi être budgétaires car les départements subissent de plein fouet la crise de la Covid19 à travers le financement de leur action sociale.
Après avoir “voté vélo”, les conseils décisionnels des régions et départements devront donc s’organiser ensemble pour développer des infrastructures à même de garantir une augmentation de la part modale vélo. Ils pourront être assistés des conseils des associations et des préconisations d’aménagements du Cerema qui s’apprête à publier un nouveau référentiel des aménagements cyclables sur le modèle hollandais.