En ce mercredi 2 avril, s’est tenue la conférence organisée par Jacques WEBER, qui nous a quitté le 6 mars dernier, en partenariat avec l’Association Francaise des Petits Debrouillards, la CFDT, Humanité et Biodiversité, I’institut INSPIRE, OREE, Valeurs Vertes, la FRB et le GIS Climat Environnement et Société : « L’hypothèse +4°C : Monde vivant et changement climatique à l’issue du rapport du GIEC ».
Le but de cette conférence était non seulement d’aborder les causes du changement climatique et les constats du dernier rapport du groupe II du GIEC, mais aussi de tenter de dresser un tableau de ce que serait le monde à la fin du siècle dans l’hypothèse où des mesures pour freiner le changement climatique ne seraient pas engagées, un monde à + 4°C.
Les nombreux intervenants d’origines très différentes – écologues, climatologues, économistes – ont taché de mettre en lumière les résultats de la synthèse du GIEC en se concentrant sur le scénario à + 4°C, après avoir rendu hommage à Jacques Weber, économiste et anthropologue visionnaire, qui nous a quitté en mars dernier.
En guise d’introduction, Gilles BŒUF, Professeur au Collège de France, président du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) et vieil ami de Jacques Weber, rappellera que nous, êtres humains somme des organismes homéothermes, c’est-à-dire que notre milieu intérieur conserve une température corporelle constante (dans de larges limites), indépendamment du milieu extérieur. Au travers d’exemples il démontrera que des changements dans la température ambiante nécessiteront parfois d’importantes adaptations qui consommerons énormément d’énergie, il en est de même pour un grand nombre d’autres espèces. Les changements liés au réchauffement climatique ne peuvent donc pas être négligés. Il insistera sur l’importance qu’accordait Jacques Weber à la prise en compte des conséquences des changements climatiques sur le monde vivant, sur la biodiversité qui ne cesse de s’éroder, et sur l’incidence que ce phénomène pourra avoir sur nos activités fortement dépendantes des services portés par les écosystèmes.
Hervé Le TREUT, Directeur de l’Institut Pierre Simon de Laplace, rédacteur du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), s’attachera à donner un visage concret aux changements climatiques en s’appuyant sur les scénarii des moyennes latitudes. Il affirme que « ce futur est un futur des risques », les émissions de C02 n’ont pas diminué depuis la première conférence de Rio (1992), et même s’il est vrai que les modèles restent incertains quant à l’évolution du climat pour les prochaines années, ils s’accordent à dire qu’un réchauffement est à prévoir. Pour éviter une augmentation au-delà de +2°C les mesures de réduction d’émissions de GES doivent être mises en place tout de suite.
Les conséquences de ce réchauffement seront aussi diverses qu’impactantes, au-delà des risques sanitaires (changement de l’aire de répartition de certaines maladies parasitaires ou encore les risques liées à l’hyperthermie pendant les vagues de chaleur) ; de nombreux risques socio-environnementaux sont à prévoir : inégalités et conflits d’accès à l’eau potable, sécheresse accrues dans certaines régions et augmentation importante des précipitations dans d’autres ; augmentation du niveau des océans entrainant des risques de submersion de régions entières et donc d’importants dégâts matériels mais aussi sur l’économie locale ; ainsi qu’une large diversité d’atteinte aux vivants allant de l’augmentation des incendies forestiers à la diminution des ressources halieutiques.
Jean-François SOUSSANA, Directeur scientifique environnement de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), auteur principal du groupe II du GIEC, ajoutera que la gravité de cette situation n’est pas seulement liée à l’augmentation des températures mais aussi et surtout à la vitesse à laquelle ces phénomènes sont observés. En effet, les impacts sont d’autant plus graves que la vitesse des changements est importante, les déplacements de populations animales et végétales, ne pourront pas toujours suivre la vitesse du changement climatique dans le cas de l’hypothèse +4°C. Les impacts observés seront des impacts en cascade, avec de fortes interactions entre eux qui ne feront qu’accroitre leur gravité.
Mais des solutions de prévention existent, en ce qui concerne la perte de diversité biologique par exemple, l’élargissement des trames vertes et bleu consisterait un moyen efficace de limiter l’érosion de la biodiversité. Pour les forêts, replanter, renforcer la génétique et ainsi que la surveillance sont des solutions à exploiter. De plus, la réorganisation des systèmes de production dans l’espace et la programmation de la recherche favoriseront l’adaptions de l’agriculture aux changements à venir.
Sylvie JOUSSAUME, Directrice du GIS Climat Sociétés, membre du GIEC, appuiera les portrait dressés précédemment en ajoutant que ce que prévoient les modèles ne ressemble pas à ce que l’on a pu observer pendant les décennies précédentes. La terre a déjà connu dans son passé des augmentations de + de 4°C mais jamais à cette vitesse, et c’est cela qui posera de réels problèmes d’adaptation.
Franck LECOCQ, Directeur du Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED) et professeur à AgroParisTech, posera un regard d’économiste sur les scénarios futurs. Il expliquera que les modèleséconomiquesprévoient une croissance significative d’ici la fin du siècle avec une importante augmentation de la consommation, d’où la position délicate de certains économistes qui s’interrogent sur l’utilité d’investir aujourd’hui dans des mesures préventives et d’atténuer le réchauffement au détriment de problèmes plus immédiats, alors que les générations futures seront théoriquement plus riches. A cette position dangereuse il oppose une vision plus contrastée, les impacts du changement climatique sur la croissance seront cumulatifs et se feront ressentir de façon progressive. Certains modèles prévoient une diminution liée au changement climatique de – 1,4 voire 1,5% de la consommation moyenne par personne au niveau global, ce chiffre est à prendre avec précaution car il s’agit d’une moyenne et il existe de très fortes disparités selon les régions du globe. Des changements structurels importants sont à prévoir notamment au niveau du tourisme ce qui pourrait avoir une incidence très négative sur les populations qui en dépendent. On peut également s’attendre à des changements d’activités considérables au niveau de certaines régions, changements qui entraineront des répercutions sur les filières en amont et en aval, et à terme changeront la trajectoire de développement de territoires entiers.
Ainsi, même si certains changements seront irréversibles, il est important de garder en tête que cela coûte moins cher d’anticiper que de s’adapter en réaction aux changements au moment où ils surviennent. Il semble donc pertinent d’examiner des maintenant les coûts de ces transitions et identifier les enjeux sur lesquels il faut agir dès maintenant.
Nathalie FRASCARIA-LACOSTE, Professeur à AgroParisTech – Directrice-Adjointe UMR 8079 ESE, clôtura cette conférence par une mise en scène qui fera voyager l’audience aux horizons de 2080. Elle nous livrera un des scenarios possibles, un scénario pessimiste, un monde à + 4°C qui serait la conséquence de l’absence de réactivité de notre générations.
Enfin, elle nous rappellera la vision de Jacques Weber, qui affirmait que la seule façon d’inverser la tendance actuelle passerait par une dislocation complète de nos socles de référence, par un changement de paradigme. C’est au travers de dynamiques collectives, de réseaux pluridisciplinaires et interconnectés, que les hommes pourront trouver les solutions aux défis auxquels ils seront confrontés. « Prévoir c’est gouverner » ajoute-t-elle, c’est donc en anticipant que des visions alternatives du futurs pourront être construites.
La conférence sera suivie d’un débat. L’audience prendra part à ce colloque parfois en posant des questions aux différents intervenants parfois en exprimant une idée.
En somme, l’enjeu est aujourd’hui de se pré-adapter pour être prêts le jour où les choses changeront. Il est difficile pour les scientifiques de donner des projections sûres de ce que sera notre avenir, les modèles sont variables et entachés d’incertitudes. Mais cela ne doit pas empêcher l’information de circuler, il est important que la prise de conscience sur ces enjeux soit collective. « Dans les moments de crise, seule imagination importe plus que les connaissances » (A. Einstein) nous rappellera l’un des membres de l’audience. Il s’agit donc de ne pas laisser « le pessimisme de la connaissance [empêcher] l’optimisme de la volonté » (Gramsci), le changement passera par l’action, une action collective, locale qui pourra ensuite se propager au niveau global.
Pour en savoir plus : Résumé du rapport du groupe II du GIEC à l’attention des décideurs