Le bilan de l’action climat non-étatique réalisé par l’Observatoire Mondial de l’Action Climat non-étatique et Climate Chance a donné lieu à 4 cahiers : un cahier sectoriel, un cahier territoires, un cahier adaptation et un cahier finances.
Cette étude se base sur les émissions des pays du G20. De manière générale, celles-ci ont augmenté (+1,7%) mais moins vite que la demande en énergie (+2,1%) grâce à la décarbonation du mix énergétique. Les énergies fossiles représentent toutefois 80% de ce mix.
Ce bilan 2019 est une boite à outils pour décideurs et acteurs du climat, qui cherche à évaluer les difficultés et progrès réalisés. Quelles sont les grandes tendances d’action et les initiatives menées par les acteurs non-étatiques pour lutter contre le changement climatique ?
La demande en énergie augmente plus vite que les émissions de GES
La production électrique reste le principal responsable des émissions du secteur de la production énergétique (2/3), notamment à cause des pays dont la production se base sur le charbon comme la Chine, et dont la progression des émissions annihile les efforts de réduction du reste du monde (diminution de la production mondiale de charbon hors Chine : 8,1GW ; augmentation de la production d’électricité de la Chine à partir de charbon : + 35GW).
Bien que des Etats aient modifié leur fiscalité pour réduire leur soutien aux énergies fossiles (l’UE s’est engagée à supprimer toutes les subventions aux sources d’électricité émettant plus de 550 gCO2 e/kWh avant 2025 ; l’Argentine a baissé ses subventions aux énergies fossiles de 35% en 2017), ces énergies ont reçu des subventions reccord venant de Chine, d’Iran, du Mexique et de Russie passant de 116 à 143 milliards de dollars en 2018. Les productions de charbon, pétrole et gaz pour ces pays restent largement au dessus des limites compatibles avec les accords de Paris (+17% ; +10% ; +5%).
24% des émissions mondiales proviennent des transports
Les transports représentant 24% des émissions a connu deux évolutions contraires. La performance des véhicules a augmenté mais s’est retrouvée annulée par l’augmentation du commerce international et surtout l’explosion du trafic aérien. Les prévisions du trafic aérien visent sa multiplication par deux à l’horizon 2037. La vague des SUV inquiète car ils ont été la deuxième source d’augmentation des émissions de 2010 à 2018 (devant l’industrie lourde, les poids lourds et le trafic aérien).
Les initiatives comme celle de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) visant la neutralité carbone en 2050 grâce à la compensation semblent bien ambitieuses au regard de la croissance des émissions du secteur aérien (+32% ces 5 dernières années).
Dans le transport maritime, l’Organisation Maritime Internationale (OMI) s’est engagée à réduire de 50% ses émissions d’ici à 2050 avec autant de chances que de succès. A noter toutefois que certaines compagnies comme Maersk a réduit de 41% ses émissions par rapport à son niveau de 2008 !
Des initiatives existent comme à Dunkerque où un « péage inversé » récompense les escales propres dans le port afin d’améliorer la qualité de l’air et encourage ainsi les navires à limiter leur impact sur l’environnement.
Les collectivités territoriales, au cœur des enjeux d’adaptation
Les collectivités territoriales sont des acteurs majeurs dans la lutte contre le réchauffement climatique. Elles ont été plus de 1180 à déclarer l’état d’urgence climatique et sont au cœur des enjeux d’adaptation. Au niveau européen et dans le cadre de la « convention des maires », on compte 2850 villes engagées à réaliser un plan climat et à faire suivre les résultats au niveau européen. L’agrégation de ces données n’est pas encore disponible mais beaucoup de signaux sont encourageants au niveau municipal : Stockolm : -30%, Londres : -23%, Madrid : -10%, etc. Parallèllement, les émissions importées ont largement augmenté. Le C40 (réseau mondial de grandes villes né en 2005) a estimé que ses 79 villes consommaient au total 3,5 GtCO2e, soit 60% de plus que les émissions territoriales. En somme, 2/3 des émissions des villes sont issues des importations.
Les collectivités ont le double enjeu de s’adapter au réchauffement climatique, tout en gardant leur dynamisme. De nombreux rapports mettent justement en avant le fait que les deux vont de pair. Les co-bénéfices socio-économiques et sanitaires sont une grande opportunité pour les territoires, à l’instar des rénovations de bâtiments, des réseaux de chaleur et de froid ou les transports qui peuvent réduire considérablement les émissions, tout en créant des millions d’emplois.
L’Observatoire a entrepris de relier sa sélection de 80 initiatives climat menées par les gouvernements locaux visant à répondre aux Objectifs de Développement Durable (ODD) tout en faisant le pont avec les problématiques de développement socio-économique. Ils ont ciblé 10 thématiques : planification urbaine, production d’énergie, déchets et économie circulaire, bâtiment, forêt, agriculture et alimentation, mobilité, éducation, coopération décentralisée, adaptation.
Certaines villes prennent à bras le corps la question écologique à travers la combinaison de deux processus de rapportage pour construire leur budget en intégrant les déclarations environnementales. C’est le cas de Paris et Oslo par exemple.
Il apparaît également que les territoires sont l’échelon parfait pour organiser la participation citoyenne dans les objectifs de lutte contre le changement climatique. L’Observatoire a ainsi listé quelques « bonnes pratiques » pour opérer la transition en mettant les citoyens au cœur du processus. Grenoble fait figure d’exemple avec son budget participatif, ses « conseils citoyens indépendants » et son dispositif de votation d’initiative citoyenne.
L’Observatoire se focalise ensuite sur Grenoble comme un cas d’étude en analysant différents dispositifs mis en place dans la métropole comme par exemple le dispositif Mur-Mur II (2016-2020) qui permet la rénovation de près de 1 500 logements/an via une aide (15 à 20 000 euros) pour des projets de rénovation extérieure et selon le revenu des co-propriétaires, et une liste de 75 entreprises labélisées. Bien que s’ajoutant aux 4 500 logements rénovés lors de la première phase, Mur-Mur ne répond que partiellement aux objectifs du SDE (2 500 logements/an).
Un second dispositif « Métro énergie » propose aux petites et moyennes entreprises un diagnostic énergétique et des conseils gratuits. Les 94 milliards d’euros de travaux estimés par le programme représentent un potentiel de 1 800 emplois sur le territoire.
Enfin la commune de Grenoble se démarque par plusieurs projets phares : le quartier « Presqu’Ile » bénéficie d’un système de pompes à chaleur connectées à la nappe phréatique permettant également le rafraîchissement des bâtiments en été. Dans le quartier « Flaubert », la commune travaille avec les bailleurs sociaux, pour l’utilisation accrue de matériaux locaux (bois, pailles) censés représenter 25 % d’ici 2025.
La ville de Grande Synthe est également citée dans le rapport pour son revenu de transition écologique qui se concretise via un soutien municipal aux activités (lucratives ou non) réalisées sur le territoire.
Adaptation au changement climatique : peu considérée par rapport à l’atténuation
L’adaptation est éminemment locale et on estime qu’un euro investi dans une mesure d’adaptation aura comme retombée entre 2 et 10 euros. Pour autant, en France notamment, l’adaptation « souffre d’un déficit persistant de reconnaissance et de légitimité ». Ce calcul reste difficile à faire mais l’AFD, la Banque Mondiale et le Citepa se sont récemment essayé à développer des instruments de mesure à vocation universelle et adaptables aux contextes locaux. Au niveau local, les prises d’initiatives en faveur de l’adaptation des territoires sont très limitées lorsqu’elles ne sont pas contraintes par l’Etat.
Certains secteurs sont particulièrement touchés par le réchauffement climatique, à l’instar de la viticulture largement acquise aux producteurs historiques (France, Italie, Espagne) et qui subit de plein fouet la crise climatique. Les stratégies d’adaptation sont variées et les acteurs de la filière font appel aux scientifiques pour trouver des variétés de cepages mieux adaptées, optimiser les apports en eau et engrais, trouver des techniques de désalcoolisation ou encore agir sur la demande des consommateurs dans le but de valoriser des arômes et des styles de vins nouveaux.
De plus, le rapport des sénateurs Ronan Dantec et Jean-Yves Roux sur l’adaptation de la France aux changements climatiques fait état du manque « d’élément de chiffrage financier » et « d’indication méthodologique » pour réaliser des estimations précises quant aux besoins d’adaptation. Il n’existe pas non plus de système de vérification indépendant ou de modalités de communication des résultats. Cela est un vrai blocage, qui ne permet pas de mettre à disposition les moyens financiers nécessaires pour l’adaptation.
Et quand ceux-ci sont budgétés, ils ne sont pas pour autant toujours effectivement alloués. En effet, le Fonds européen de développement régional (FEDER) prévoyait de dédier 295 millions € à la France sur 7 ans (2014-2020) pour l’adaptation aux changements climatiques. Fin 2018, seulement 107 millions ont été programmés.
Pas assez d’investissements responsables pour atteindre l’Accord de Paris ?
Le secteur financier est un acteur majeur dans la lutte contre le changement climatique, et malheureusement, il est très loin d’être à la hauteur. Les investissements dans les énergies renouvelables devraient doubler pour être compatibles avec les accords de Paris et les investissements dans les énergies fossiles ne déclinent pas (sauf pour le charbon).
Les produits financiers verts croissent mais restent très peu accessibles aux épargnants individuels.
La Banque de France a récemment attiré l’attention sur les risques directs que les changements climatiques posent aux investisseurs, ainsi que le potentiel de contagion à d’autres secteurs.
Les banques multilatérales de développement qui ont consacré, en 2018, 43 milliards de dollars en faveur du climat, soit 22 % de plus qu’en 2017, se sont engagées, en septembre 2019 lors du Climate Action Summit des Nations Unies, à accroître leurs financements en faveur du climat de 50 % d’ici à 2025, à doubler leurs financements à l’adaptation et à accroître leur levier sur les financements privés.
Des banques commerciales, soit à titre individuel soit dans le cadre d’initiatives collectives, ont aussi pris de tels engagements. Par leur engagement de Katowice, pris lors de la COP24 fin 2018, cinq banques européennes, BBVA, BNP Paribas, ING, Société générale et Standard Chartered, ont décidé de travailler ensemble à l’élaboration de méthodes leur permettant d’aligner leurs portefeuilles de prêts. L’initiative regroupe désormais une trentaine de banques, qui souhaitent rendre opérationnelle leur signature des Principles for responsible banking.
Les signataires se sont engagés à aligner leurs activités avec les objectifs de l’Accord de Paris et les Objectifs de développement durable, en se fixant des objectifs d’impacts et en rendant publique régulièrement l’évolution de leur performance.
Malgré ces objectifs, les énergies fossiles continuent de trouver leurs financements bancaires. Dans son édition 2019, le « Fossil Fuel Finance Report Card » constate que les financements aux énergies fossiles des 33 plus grandes banques mondiales ne connaissent pas d’infléchissement. Ils ont atteint 654 milliards de dollars en 2018, contre 646 en 2017.
Si la plupart des banques de développement ont mis en place une politique énergétique comportant des restrictions sur les énergies fossiles, la plus impressionnante vient d’être publiée par la Banque européenne d’investissement (BEI) en novembre 2019, par laquelle elle annonce qu’elle ne financera plus le charbon, le pétrole et le gaz naturel d’ici la fin 2021 !