Cette troisième et dernière partie s’étend sur la problématique persistante du financement : malgré sa progression, le budget annoncé ne suffira ni à répondre aux besoins des collectivités, ni à atteindre les objectifs nationaux de pratique du vélo. BL évolution a évalué les montants qui correspondraient vraiment aux attentes. Par ailleurs, de façon plus structurante, l’ambition du plan vélo et marche est freinée par la primauté donnée à la voiture et à l’absence d’un changement de paradigme vers l’écomobilité, pourtant nécessaire pour concilier transports et soutenabilité écologique et sociale.

La problématique persistante du financement

L’annonce qui a sans surprise le plus marqué les esprits est celle des 2 milliards, un montant inédit pour un tel plan. La répartition du budget n’est pas à ce stade très précise, et il apparaît que les programmes des certificats d’économies d’énergie (sans réel apport d’argent public, donc) financent une part importante des 750 millions qui viennent s’ajouter au 1,25 milliard du fonds mobilités actives. La décision de consacrer 250 millions par an à l’infrastructure reprend la proposition faite en 2020 par la Convention Citoyenne pour le Climat, à savoir quadrupler le budget initial du fonds (50 millions / an).  Ce montant ne représente que 2,7 % du budget annuel du ministère des transports (sur la base du budget 2023).

1,25 milliard du fonds mobilités actives revient à près de 12,5 millions d’euros par département, près d’1 million d’euros par EPCI et 36 000 euros par commune sur cinq ans. Cela fait encore trop peu d’argent pour que se concrétisent sur chaque territoire des projets à la fois structurants et qualitatifs. Seuls certains territoires auront vraisemblablement la possibilité de devenir des territoires pilotes – c’est-à-dire d’être dotés d’un réseau cyclable complet, sécurisé et confortable et de stationnements adaptés à tous les pôles générateurs de déplacements. Guillaume Martin, responsable pôle Mobilités de BL évolution, notait dans un article récent que “sur les territoires accompagnés par BL évolution, empiriquement, le besoin est souvent estimé autour de 60 €/hab./an […]. Ce montant semble cohérent avec le rattrapage à effectuer [pour parvenir aux objectifs de part modale de 12 % en 2030] par rapport aux Pays-Bas qui investissent plus de 30 €/hab./an depuis plusieurs décennies”. Ce qui ferait 4 milliards par an pour la France entière. Avec 1,2 milliards par an[1], le montant ne s’élève qu’à 17,6 euros (dont 5,9 euros de l’État, 400 millions d’euros/an), bien en-deçà de 60 euros, ou même des 30 euros recommandés par l’Ademe en 2019.

 

Graphique 3. Budget national annuel consacré au vélo par les gouvernements de quelques État européens (et de la Région flamande) en euros par habitant (calculé à partir des chiffres les plus récents – 2022 ou 2023 – et sans les fonds européens)
source : Fédération européenne des cyclistes (ECF), plan vélo et marche 2023-2027. La sélection des pays est fonction de l’existence de budgets nationaux vélo et de la disponibilité des données.

 

Traduisons budgétairement un des objectifs majeurs du plan. Pour parvenir aux 44 000 km supplémentaires de pistes et de voies vertes d’ici 2030, en partant du même ratio moyen retenu par BL évolution (300 000 €/km), plus d’1,6 milliard par an est nécessaire sur huit ans (2023-2030). Si, partant du juste constat du président de la FUB, « une grande partie [des pistes existantes] a été mal réalisée, et qu’il faut raser et recommencer« , il s’agirait de faire ou refaire 80 000 km conformément aux recommandations du Cerema, il faudrait mettre sur la table 3 milliards / an, toujours sur la même période. La part de l’État devrait être prédominante dans ce montant global afin d’envoyer un signal politique fort et d’encourager les collectivités à engager des budgets conséquents et à mener des opérations ambitieuses. Soit un ordre de grandeur allant de la moitié aux deux-tiers du montant : entre 1,5 milliard et 2 milliards… par an.

L’adjoint à la mairie de Paris Jacques Baudrier [2] estime pour sa part l’investissement nécessaire de la part de l’État à 1 milliard d’euros par an. Il suggère la création d’une Agence nationale du vélo [3], administration dédiée à la mise en œuvre du plan, qui aurait à charge la distribution des financement de manière à couvrir l’ensemble du territoire d’aménagements et d’équipements. Quels que soient les montants évoqués, on s’aperçoit qu’ils sont de deux à huit fois plus élevés que les moyens annoncés. En l’état actuel, le nouveau plan ne permettra pas une évolution à la hauteur des enjeux. Le prochain défi des acteurs de l’Alliance pour le vélo est donc de revenir à la charge pour relever, une nouvelle fois, les sommes engagées. Ils peuvent s’appuyer sur la comparaison avec ceux d’autres plans européens. C’est ce que propose le rapport publié l’an dernier par la Fédération européenne des cyclistes (ECF) sur les financements publics en faveur du vélo des 27 pays de l’Union européenne. La France, avant l’annonce du nouveau plan, s’y plaçait en 21e position. 

Prenons deux exemples de pays qui figurent parmi les meilleurs élèves du classement. L’Irlande, en tête (avec 36 €/hab./an !), soutient plus massivement les collectivités locales pour relier villes et villages à travers tout le pays. Dans le cadre de son plan climat, l’actuel gouvernement irlandais s’est engagé à réduire les émissions du secteur des transports de 51 % d’ici 2030, intégrant des mesures en faveur des modes actifs dont la refonte du réseau national de pistes cyclables et de voies vertes (NCN, national cycling network). En 2020, il annonce 360 millions d’euros d’investissements par an dans la mobilité active au cours du mandat (2020-2024), soit 20 % du budget national consacré aux transports et aux mobilités (10 % pour le vélo, 10 % pour la marche, conformément à une recommandation de l’OCDE).

L’Irlande compte atteindre une part modale du vélo de 10 % en 2033 [4]. Autre exemple : les Pays-Bas, où 28 % des déplacements, aujourd’hui, se font déjà à vélo, un record mondial. Suite au dernier accord de coalition gouvernemental conclu fin 2021, 7,5 milliards d’euros sont accordés sur dix ans pour faciliter l’accessibilité des nouvelles zones résidentielles prévues. Dans cette enveloppe, les 780 millions d’euros dédiés au vélo, complétés par les contributions des municipalités et des provinces (plus d’1,1 milliard au total), forment le budget le plus élevé jamais octroyé par un gouvernement néerlandais pour le vélo (13,6 €/hab./an) [5]. Le Fietsersbond (Fédération nationale des usagers du vélo, l’équivalent de la FUB aux Pays-Bas) s’est félicité de cette prise en compte inédite par l’État dans un pays où les politiques vélo sont traditionnellement à la charge des municipalités et des provinces. La Fédération défend l’idée qu’il y aura en 2040 un vélo adapté à presque tous les Néerlandais et à toutes les situations, ainsi qu’un réseau cyclable diversifié pour éviter d’avoir recours à la voiture. En résumé, si le budget vélo du gouvernement français dépasse légèrement ses équivalents autrichien et belge et se rapproche du budget allemand, il reste plus de deux fois inférieur à celui des Pays-Bas, et six fois inférieur à celui de l’Irlande (graphique 3).

L’État français compte sur le volontarisme des collectivités et des élus locaux, qui connaissent pourtant des difficultés structurelles : pas assez d’argent et de postes de chargés de mission modes actifs, bien que le nombre de personnes impliquées dans le développement du vélo ait doublé depuis 2019 [6]. L’Institut de l’économie pour le climat estime dans une étude à 7 ETP (équivalent temps plein) pour 100 000 habitants les besoins en ressources humaines pour le pilotage et l’animation des politiques vélo, soit environ 4800 ETP au total en France, à comparer aux près de 1200 ETP en 2022. Les mobilités correspondent à 67% des 12 milliards en besoins d’investissements des collectivités pour le climat. Plus d’un quart (3,3 milliards) devrait être consacré aux pistes cyclables et au stationnement vélo, ce qui revient à multiplier par trois le budget de 2020 (1 milliard d’euros), et à faire du développement du vélo le premier domaine d’investissement, non seulement dans le secteur des mobilités mais tous secteurs confondus [7]. Parmi les collectivités qui ne déploient pas encore de politiques vélo, 69 % considèrent manquer de moyens humains et d’ingénierie territoriale, et 48 % de moyens financiers. L’an dernier, 85 % des investissements locaux prévus par les collectivités étaient encore dans l’attente de leur concrétisation, en grande partie faute d’argent, d’après la première enquête nationale sur les politiques modes actifs. Si les dépenses cumulées des collectivités s’élevaient à pas moins de 15 €/hab./an en 2021, le contexte budgétaire de la plupart d’entre elles est de plus en plus délicat. Les années à venir pourraient laisser voir des arbitrages moins favorables et une baisse des investissements pluriannuels en matière d’infrastructures. Le renoncement à de coûteux projets routiers, dans certaines collectivités, pourrait contribuer à éviter cet écueil. 

Notons que la FUB propose d’allouer 1 % du fonds mobilités actives à un soutien financier de l’expertise citoyenne au niveau local, notamment représentée par ses associations membres, afin que l’infrastructure, les équipements et les services mis en place répondent mieux aux besoins et demandes des cyclistes actuels et potentiels. Par exemple, le recrutement de salariés, permis par une subvention conventionnée, favorise la coordination et la structuration des activités au sein d’une association d’usagers, mais aussi le travail sur des projets communs et concertés avec la collectivité. La réussite des politiques vélo dépend aussi de l’investissement, de l’évaluation, de la vigilance et de la promotion exercés par les usagers. La Fédération n’a pas eu gain de cause sur ce point.

Une ambition freinée par un véritable changement de paradigme vers l’écomobilité

Les annonces de ce premier comité interministériel sont sans conteste plus ambitieuses que celles du plan vélo de 2018. Par contraste avec la discrétion du plan vélo de 2012 et du “Plan d’action pour les mobilités actives” (Pama) de 2014, la politique vélo du gouvernement est devenue très visible et assumée, ce que montre aussi l’inter-ministérialité croissante de son élaboration : pas moins de cinq ministres [8] sont intervenus lors du comité, entourant la première ministre. Elle est devenue aussi plus stratégique et transversale, à la croisée de grands enjeux comme l’accès à la mobilité durable pour tous, la résilience territoriale, l’intermodalité, la lutte contre la sédentarité… Plusieurs volets, au second plan jusqu’ici, s’étoffent en termes d’actions : développement d’un système vélo sur des territoires pilotes, vélotourisme, filière industrielle du vélo… D’autres, comme la “vision zéro”, des opérations plus régulières de contrôle policier en matière de sécurité routière ou encore une fiscalité plus favorable au vélo et moins à la voiture, n’y figurent toujours pas. La trottinette électrique a été écartée. Plus grave : la marche n’a droit qu’à la portion congrue.

Sur le plan financier, la pérennisation d’un budget pluriannuel pour le fonds mobilités actives cinq fois plus important qu’en 2018 est bienvenue et rassure les acteurs impliqués. D’autant qu’il n’est pas sûr que la ou le prochain.e premier.ère ministre soit aussi disposé.e à faire du vélo une politique de premier plan, ni à en attendre aussi impatiemment les résultats, malgré le pilotage de la transition écologique à sa charge. L’argent du fonds mobilités actives ne financera pas de la peinture mais bien prioritairement des pistes et des voies vertes, même si la sélection des projets, désormais opérée par les DREAL, ne garantit pas forcément une qualité optimale.

Outre les sommes en jeu, le plan vélo et marche risque d’atteindre des limites. Il ne suffira pas en l’état pour démocratiser l’usage du vélo à tous les âges de la vie et sur tous les territoires. Son approche n’est pas encore entièrement systémique et manque de rigueur. Le diagnostic de ce qui existe ou non, le suivi et l’évaluation des mesures, des infrastructures et des équipements mis en place depuis quatre ans restent limités. Il est à cet égard révélateur que l’un des principaux objectifs chiffrés, la part modale, se soit évaporée du plan : avec une part estimée aujourd’hui à environ 4 %, contre 2,7 % en 2019, la progression est modeste, loin de l’objectif initial de 9 % pour 2024.

Plus préoccupant : le plan vélo et marche ne traduit pas un véritable changement de paradigme de la politique nationale des mobilités. Non seulement une véritable vision du rôle et du potentiel du système des modes actifs en matière de transition écologique et sociale se fait désirer, mais la position générale de l’État sur les mobilités reste pour nombre d’observateurs – à commencer par l’Autorité environnementale – confuse et incohérente avec les politiques publiques environnementales et le respect des engagements de l’accord de Paris. Le ministre Clément Beaune a annoncé pour cet été une grande remise à plat des projets routiers et autoroutiers à l’aune de l’urgence climatique, de la lutte contre l’artificialisation des sols et pour la défense de la biodiversité, mais certains sont déjà entamés. La Déroute des routes, une coalition d’une cinquantaine de collectifs locaux, s’oppose ainsi à la construction de nombreux projets routiers considérés comme inutiles : autoroute entre Toulouse et Castres (A69), contournement est de Rouen (A133-A134), contournement d’Arles (A54)… 

L’instauration d’un système de mobilité écologique n’est pas le projet politique du gouvernement français. Si le plan vélo et marche contient des avancées importantes, la priorité donnée à la voiture n’est pas remise en cause et va à l’encontre d’une dynamique de report modal vers les modes décarbonés. Il fait encore figure de démarche isolée, pris dans un récit qui demeure conditionné par des architectures normatives puissantes : 

  • la croissance économique (qui dépend de la croissance du nombre, de la vitesse et de la portée des déplacements, de la bonne santé de l’industrie automobile, de la construction de routes, de parkings, de maisons individuelles) ;
  • la surproduction (volume de production élevée nécessaire pour la rentabilité de l’industrie automobile), la surconsommation (qui incite à se déplacer en voiture sans motif précis, pour n’importe quelle distance et plus globalement à prendre sa voiture au détriment des autres modes) et la distinction sociale par des pratiques ostentatoires (achat et conduite de SUV) ;
  • l’importance économique de l’industrie automobile (qui fait pression sur les politiques publiques, la législation) et des industries liées (industrie pétrolière, travaux publics, constructeurs), et dont l’État est dépendant (emplois, taxes) ;
  • la puissance du système automobile, plus largement des modes motorisés individuels, dont les constituants sont étroitement liés, reposent sur de solides synergies et qu’il est donc délicat de déconstruire à ce stade de maturité.


Le changement de paradigme vers un système où les modes actifs joueraient un rôle central se trouve empêché par ces architectures. 

 

Retrouvez l’ensemble des parties de notre panorama du nouveau plan vélo & marche.

 

Notes :

[1] Si l’on table sur 6 milliards réellement dépensés, tous échelons confondus, sur cinq ans. Ce qui n’est pas irréaliste, étant donné que les collectivités locales dépensent déjà 1 milliard par an pour le vélo, soit 15 €/hab./an, plus du double de ce que prévoit de dépenser l’État avec le nouveau plan (5,9 €/hab./an).

[2] Adjoint à la maire de Paris (PCF) en charge de la construction publique, du suivi des chantiers, de la coordination des travaux sur l’espace public et de la transition écologique du bâti, et administrateur d’Île de France Mobilités.

[3] Elle serait logiquement installée au sein de l’Agence de financement des infrastructures de transport (AFIT) de France ou de la Direction générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer (DGITM).

[4] Le seul budget de l’infrastructure cyclable est passé de 45 millions d’euros en 2019 à 290 millions en 2023, budget auquel s’ajoutent différents programmes, notamment pour l’apprentissage du vélo dans les écoles, mais aussi pour sécuriser leurs accès et leurs abords. Cet investissement record équivaut presque (à 80 %) aux 400 millions de livres sterling pour les modes actifs en Angleterre (Londres exclu).

[5] Les nouveaux projets de transports publics représentent 4 milliards, les projets routiers 2,7 milliards, les projets pour le vélo 780 millions, le reste étant dévolu à l’amélioration des infrastructures existantes. L’investissement d’1,1 milliard pour le vélo représente 6 €/hab./an, et s’ajoute aux financements habituels, à savoir près de 500 millions d’euros par an en moyenne au cours des dernières décennies (tous échelons et financements cumulés). 

[6] Soit environ 1 % de l’effectif global des collectivités. Parmi ces personnes, 800 s’occupaient exclusivement de vélo.

[7] Le vélo figure en priorité dans le secteur des mobilités devant les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), l’électrification des flottes de véhicules et les bornes de recharge électrique ou même les infrastructures ferroviaires et transports en commun urbains, dont les fameux RER métropolitains. Il s’impose aussi en termes d’investissement tous secteurs confondus, devant la rénovation énergétique des bâtiments publics, la transformation de l’éclairage public, les réseaux de chaleur urbains… Le vélo ressort en somme moins comme un enjeu parmi d’autres que comme l’un des plus décisifs. 

[8] Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires ; Clément Beaune, ministre délégué chargé des Transports ; Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie ; Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées ; Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme.